Aller au contenu

Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
290
MÉPHISTOPHÉLA

déchirés, la mignonne créature soupirante sans plaintes, se rua sur elle pour l’étrangler, — et l’embrassa. Elle la mordait toute, furieusement, délicieusement. Ce fut l’extraordinaire joie du baiser qui voudrait lacérer, de l’étreinte qui voudrait étouffer. Jamais Sophor n’avait tant voulu cette créature qu’elle haïssait pour la première fois. Car le désir s’allume à la colère comme le désespoir s’avive à la luxure ! et la haine et l’amour s’exaspèrent l’un de l’autre jusqu’à ce que tous les deux succombent dans un commun néant.

Sophor et Magalo reprirent leur vie de naguère. Jamais il ne fut question entre elles de cette heure mauvaise. D’un commun accord, elles voulaient oublier cela, l’oubliaient. Quoi donc, Sophie ne s’inquiétait plus d’Emmeline ? l’horreur de la savoir mariée ou près de l’être, ne hantait pas ses journées de rêveries amères ni ses nuits de cauchemars ? Elle paraissait tranquille, riait avec Magalo, sortait aux heures accoutumées, — une des joies de Magalo, c’était qu’elles avaient un coupé pour aller au Bois, où on les voyait ! Et en vérité une paix s’était faite en Sophie. Elle n’était plus en colère contre personne. Elle se disait — lasse des premières affres, ou résignée, — que le destin avait bien arrangé les choses. Emmeline, par l’éloignement,