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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/305

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MÉPHISTOPHÉLA

ou ta petite. Si c’est un homme, nous l’appellerons Rodolphe. C’est le nom de mon père, qui était très honnête. Quand le mignon pourra marcher, nous l’emmènerons promener avec nous. Nous aurons l’air d’être ses deux mamans, de l’avoir fait à nous deux. C’est ça qui sera drôle. Deux mères pour un bébé ! sans papa. Nous dirons aux gens, en riant : « Nous l’avons eu la première année de notre mariage ! » Non, vrai, ce sera d’un drôle ! Et tu sais, ce n’est pas pour rire, je sens que je l’adorerai, ton enfant. J’ai eu tort de parler d’une nourrice à la campagne. Jamais de la vie ! on le laisserait mourir de faim. Nous le garderons chez nous, nous aurons son berceau dans notre chambre, et la nuit, je me lèverai pour lui donner à boire. » Mais elle cessa de bavarder, à cause des yeux de Sophor, assise, les poings entre les genoux ; des yeux froids et féroces, d’acier meurtrier. Elle n’avait jamais vu un tel regard, si plein d’inexorable haine. Elle comprit que tout ce qu’elle dirait, que tout ce qu’elle ferait, n’empêcherait pas Sophor d’avoir ce désespéré et atroce regard. Sans ajouter un mot, sans attendre un : « laisse-moi, va-t’en ! » elle se redressa, traversa la chambre, leva une portière, disparut. Elle se sentait inutile, devinait qu’en restant elle