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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/461

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MÉPHISTOPHÉLA

saut longtemps espéré d’une lèvre sous sa lèvre, où, avec la suprématie d’un dieu qui contraindrait les âmes à entrer dans son paradis, elle obligeait ses élues à la joie, il lui venait tout à coup, près des plus belles, près des plus désirables et des plus désireuses, une tristesse d’être là, un besoin d’être ailleurs. Ailleurs ? Où donc ? Elle ne savait pas. Ailleurs. Elle se demandait pourquoi elle se trouvait dans cette chambre, sur ce lit, à côté d’une table où les verres à demi vides faisaient penser à une incomplète ivresse, sous les lampes dont la clarté même éveillait l’idée d’une extinction prochaine. Et elle s’écartait brusquement, la tête entre les mains. Un seul besoin : s’enfuir. Elle songeait, parfois, qu’elle pourrait courir à travers un pays où il n’y a personne, dans des herbes mouillées, traverser nue une rivière, s’y laver dans la fraîcheur, s’y laver non seulement le corps mais l’âme, et, de l’autre côté de l’eau froide et saine, dans une prairie, revêtir des habits blancs et, très loin, cheminer de compagnie avec des gens de village qui s’en vont le dimanche à quelque frairie sous les arbres. Tandis que l’occupait cette niaise chimère d’une échappade aux champs, ses yeux, c’était étrange, — ses yeux secs, comme brûlés, — devenaient humides ; et un regret