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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/71

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MÉPHISTOPHÉLA

sans trouble, à cause de la facilité qu’elle trouvait à se satisfaire sans exciter la surprise ni la réprobation parmi les mœurs économes de la province. Une ville, même grande, près de Paris, c’est plus de province encore, par un naturel effet d’antithèse. Et Mme Luberti était une brave femme tout à fait irréprochable.

Derrière cette paisible apparence grouillait un hideux passé comme de la vase remuée de têtards sous la nappe de lentilles d’un étang.

À douze ans, nièce d’une ouvreuse de baignoires, — on ne sut jamais au juste qui était sa mère ni qui était son père, — presque toujours fourrée chez le concierge du théâtre, dégringolant les escaliers entre les jambes des comparses, jouant des rôles de petits garçons dans les pièces où des couples bourgeois se promènent avec un enfant parmi les foules, ayant aussi la gloire, parfois, de figurer quelque Chérubin ou quelque Amour, cuisses maigres en des maillots trop larges, parmi les feux de bengale des apothéoses, Phédora (on disait plus souvent Phédo) avait pour fonctions principales de porter, de la salle dans les coulisses, les billets, les bouquets que d’ingénus étrangers envoyaient aux actrices célèbres, — la tante, Mme Sylvanie, empochait les louis, donnait des sous à la petite, pour l’encou-