Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tragiques, dont les couleurs étoient plus durables, je ne sais comment un homme de votre âge peut faire une pareille question. Le peintre du cœur humain par excellence, celui qui élève & agrandit le plus l’ame, celui qui a le mieux connu le choc des passions & la profondeur de la politique, avoit sans doute plus de génie[1] que son rival harmonieux, qui, avec un style plus pur, plus exact, est moins fort, moins serré, n’a eu ni sa vue perçante, ni son élévation, ni sa chaleur, ni sa logique, ni la diversité prodigieuse de ses caractères. Ajoutez le but moral, toujours marqué dans Corneille ; il élance l’homme vers l’élément de toutes les vertus, vers la liberté. Racine, après avoir efféminé ses héros, effémine ses spectateurs[2]. Le goût est l’art de relever les

    premiers remèdes ? Le poëte deviendra-t-il complice de la perversité générale, en adoptant le premier les misérables conventions qu’ont fait les méchans pour mieux déguiser leur scélératesse ? Malheur à qui ne sent pas tout l’effet que peut produire une excellente piéce de théâtre, & ce qu’a de sublime l’art qui de tous les cœurs ne fait qu’un cœur.

  1. Corneille a souvent un air de franchise, de liberté & de simplicité originale, & même quelque chose de plus naturel que Racine.
  2. Racine & Boileau étoient deux plats courtisans, qui approchoient du monarque avec l’étonnement de deux bourgeois de la rue St. Denis. Ce n’étoit pas ainsi qu’Horace fréquentoit Auguste. Rien de plus petit que les lettres de ces deux poëtes extasiés