Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/222

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m’avoit délicieusement amusé à la campagne, fut inhumainement arrêté par les commis, qui en se débattant avec moi, faisoient payer pour la tête d’un cochon — ah, pour le coup vous abusez de notre patience, quel galimathias ! est-ce que les têtes d’hommes payoient à ces barrières de bois ainsi que les têtes de cochon ? En ce cas, proportion gardée, Monsieur de Voltaire, tout riche qu’il étoit, auroit pu être ruiné d’un seul coup à son entrée dans la capitale, & nous ne nous étonnons plus de ce qu’il se tenoit sagement éloigné de ces barrières de bois, où l’on pesoit la valeur d’une tête. — Messieurs, je rirois de votre raisonnement, si je n’avois pas encore sur le cœur ces insolens commis ; je vois que vous ne me comprenez pas. J’ai voulu vous dire qu’il y avoit à ces barrières des pensées approuvées & d’autres qui ne l’étoient pas, & que les commis qui arrêtoient les bœufs arrêtoient aussi les livres ; car on auroit bien désiré dans cette bonne ville de Paris, que tout y fût bœuf ou cochon, à la place des livres & des faiseurs de livres — mais de qui ces pensées pour lesquelles on instituoit des commis si matériels étoient-elles approuvées ou désapprouvées ? étoit-ce de l’Europe ? — Non, c’étoit Mr. Cogé, recteur, c’étoit Monseigneur qui avoit une robe violette, c’étoit Monsieur tel secrétaire, habillé de noir — Monseigneur ! Monsieur ! Hé, qu’importe l’avis de Monseigneur & de Monsieur ? — Oh, qu’importe, les barrières de bois pourri repoussoient les tomes &