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CHAPITRE XXIX

Les Gens de Lettres.


En sortant de la bibliothéque, un particulier, qui ne m’avoit pas dit un mot depuis trois heures, m’arrêta, & nous liâmes conversation ensemble. Elle tomba sur les gens de lettres. J’en ai peu connu de mon tems, lui dis-je ; mais ceux que j’ai fréquentés étoient doux, honnêtes, modestes, pleins de probité. Auroient-ils eu des défauts, ils les rachetoient par tant de qualités précieuses qu’il auroit fallu être incapable d’amitié pour ne point s’attacher à eux. L’envie, l’ignorance & la calomnie ont défiguré le caractère des autres : car tout homme public est exposé aux sots discours du vulgaire ; tout aveugle qu’il est, il prononce hardiment[1]. Les grands, privés pour la plupart de talens comme de vertus, étoient ja-

  1. Tel homme incapable d’écrire une ligne, mais qui a le talent verbal de la satyre, à force de fronder tous les livres, de dépriser tous les auteurs & de flatter ainsi la malignité, s’est enfin persuadé qu’il est lui-même un homme de goût & d’un tact fin ; il se trompe, & dans le jugement qu’il porte de soi, & dans le jugement qu’il porte des autres.