Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/238

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hommes qui cherchent la nature & la vérité ? Où font-elles entendre leur voix sublime ? Est-ce dans le tumulte des villes, parmi cette foule de petites passions qui, à notre insu, assiégent nos cœurs ? Non : c’est à la campagne où l’ame se rajeunit ; c’est-là qu’elle sent la majesté de l’univers, cette majesté éloquente & paisible : l’expression part & s’enflamme, le sentiment la frappe, la colore, & l’image devient plus grande, comme l’horizon qui nous environne.

De votre tems, les gens de lettres se répandoient dans les cercles pour y amuser des femmelettes & pour obtenir d’elles un sourire équivoque ; ils sacrifioient des idées mâles & fortes à l’empire superstitieux de la mode ; ils dénaturoient leur ame en voulant plaire à leur siécle : au lieu d’envisager l’auguste série des siécles à venir, ils se rendoient esclaves d’un goût momentané ; ils couroient enfin après des mensonges ingénieux ; ils étouffoient cette voix intérieure qui leur crioit : sois sévère comme le tems qui fuit ! Sois inexorable comme la postérité[1]. D’ailleurs ils jouissent ici de cette heureuse

  1. Le grand homme est modeste ; l’homme médiocre fait sonner ses moindres avantages : ainsi les fleuves majestueux roulent en silence leurs eaux, tandis qu’un petit ruisseau coule avec bruit à travers les cailloux.