Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/240

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tière dans mon oreille, lorsque je vis un des académiciens s’apprêter à lire un manuscrit qu’il tenoit en main, & d’assez bonne grace, ce qui n’est pas à dédaigner.

Trop ingrate mémoire, sois maudite ! quel tour la perfide m’a joué ! Oh ! que ne puis-je me souvenir ici du discours éloquent que prononça cet académicien ! La force, la méthode, l’arrangement du style me sont échappés ; mais l’impression en est restée vivement empreinte dans mon ame. Non ; jamais je ne me sentis si transporté. Le front de chaque assistant peignoit le sentiment dont j’étois moi-même pénétré : c’étoit une des jouissances les plus délicieuses que mon cœur ait éprouvées. Que de profondeur ! d’images ! de vérités ! Quelle flamme auguste ! Quel ton sublime ! L’orateur parloit contre l’envie[1], les sources de cette funeste passion, ses horribles effets, l’infamie dont elle a souillé les lauriers qui couronnoient plusieurs grands hommes : tout ce qu’elle a de vil, d’injuste, de détestable, étoit si fortement exprimé, qu’en

  1. Que je plains les esprits envieux & jaloux ! Ils glissent sur le beau de l’ouvrage, & ne savent point s’en nourrir ; ils ne cherchent que ce qui leur est analogue, le mauvais. L’homme de lettres, qui par l’exercice habituel de la raison & du goût fortifie l’un & l’autre, & se crée des jouissances sans cesse renouvellées, est le plus heureux des hommes s’il sait se défendre de la jalousie ou d’une sensibilité outrée.