Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/241

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déplorant les malheureuses victimes de cette aveugle passion, on frémissoit en même tems de porter en soi-même un cœur infecté de ses poisons. Le miroir étoit si adroitement présenté devant chaque caractère particulier ; leurs petitesses se montroient sous tant de faces ridicules & variées ; le cœur humain étoit approfondi d’une manière si neuve, si fine, si piquante, qu’il étoit impossible de ne pas s’y connoitre ou de s’y reconnoitre sans former le dessein d’abjurer cette misérable foiblesse. La peur qu’on avoit d’avoir quelque ressemblance avec le monstre affreux de l’envie produisit un effet salutaire. Je vis, ô spectacle édifiant ! ô moment inouï dans les annales de la littérature ! je vis les personnes qui composoient l’assemblée se considérer d’un œil doux & caressant. Je vis les académiciens ouvrir mutuellement leurs bras, s’embrasser, pleurer de joie, le sein appuyé & palpitant l’un contre l’autre. Je vis (le croira-t-on ?) les auteurs répandus dans la salle imiter leurs transports affectueux, convenir des talens de leurs confrères, se jurer une amitié éternelle, inaltérable. Je vis des larmes d’attendrissement & de bienveillance couler de tous les yeux. C’étoit un peuple de frères qui avoient substitué un applaudissement aussi honorable à nos stupides battemens de mains[1].

  1. Lorsqu’au spectacle, à l’académie, un trait