Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/274

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de ces peintres adulateurs qui avoient déifié Louis XIV. Le tems, semblable à la vérité, avoit dévoré cette toile mensongere ; ainsi qu’il avoit mis à leur véritable place les vers de Boileau & les prologues de Quinaut. Il étoit défendu aux arts de mentir[1]. Il n’existoit plus aussi de ces hommes épais qu’on nommoit amateurs, & qui commandoient au génie de l’artiste, un lingot d’or en main. Le génie étoit libre, ne suivoit que ses propres loix, & ne s’avilissoit plus.

Dans ces sallons moraux on ne voyoit plus de sanglantes batailles, ni les débauches honteuses des dieux de la fable, & encore moins des souverains environnés des vertus qui précisément leur manquèrent : on n’ex-

  1. Quand je vois dans la galerie de Versailles Louis XIV une foudre à la main, assis sur des nuages azurés, peint en Dieu tonnant, la pitié dédaigneuse que je ressens pour le pinceau de le Brun rejaillit presque sur l’art ; mais cette peinture survit au Dieu foudroyant, à l’artiste qui lui fit présent du tonnerre : cette réflexion me calme, & je souris.

    La première fois que Louis XIV vit des Teniers, il détourna la tête avec un air de dégoût & les fit ôter de ses appartemens. Si ce monarque n’a pu souffrir la peinture de ces bonnes gens qui trinquent & dansent avec gaieté ; s’il leur a préféré ces hommes bleus, qui courent à cheval à travers la fumée & la poussiere d’un camp ; l’ame de Louis XIV est jugée.