Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/378

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n’est plus certain. J’ai bien vu jouer à Pékin l’Orphelin de la Chine. Apprenez que je suis mandarin & que j’aime les lettres, autant que la justice. J’ai traversé le canal royal[1]. Je suis arrivé ici en près de quatre mois ; encore me suis-je amusé en route. J’étois curieux de voir ce fameux Paris dont on parloit tant, afin de m’instruire de mille choses qu’il faut absolument voir sur les lieux pour les bien apprécier. La langue françoise est commune à Pékin depuis deux cents ans, & à mon retour j’emporterai plusieurs bons livres que je traduirai. — Monsieur le mandarin ! vous n’avez donc plus votre langue hiéroglyphique, & vous avez abrogé cette loi singulière qui défendoit à chacun de vous, de mettre le pied hors de l’empire ? — Il a bien fallu changer notre

  1. Le canal royal coupe la Chine du midi au septentrion dans un espace de six cent lieues. Il se joint à des lacs, à des rivières, &c. Cet Empire est rempli de ces canaux utiles, dont plusieurs ont dix lieues en droite ligne : ils servent à l’approvisionnement de la plupart des villes & bourgs. Les ponts ont une hardiesse & une magnificence supérieures à tout ce que l’Europe offre de merveilleux en ce genre. Et nous, petits, foibles & mesquins dans tous nos monumens publics, nous n’employons notre industrie, nos instrumens & nos rares connoissances, qu’à orner des choses de pure vanité & à dresser de magnifiques bagatelles. Presque tous les chef-d’œuvres de nos arts ne sont que des jouets d’enfans.