Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/410

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tres ; & son regard, sa voix, son geste, vous le savez, étoient le signal de l’allégresse universelle. Vous n’avez pas oublié sa gaieté, vive émanation d’une ame pure, & ses paroles pleines de sens & de sel ; ayant le don d’exercer une raillerie ingénieuse, il n’a jamais offensé. À qui a-t-il refusé de rendre quelque service ? En quelle occasion s’est-il jamais montré insensible au malheur public ou particulier ? Quand a-t-il été indifférent lorsqu’il s’agissoit de la patrie ? Son cœur étoit à elle : son image étoit l’ame de ses entretiens ; il ne parloit que pour sa prospérité ; il chérissoit l’ordre par le sentiment intime qu’il avoit de la vertu.

« Vous l’avez vu, lorsque l’âge avoit courbé son corps, & que ses jambes étoient déja chancelantes ; vous l’avez vu monter au sommet des montagnes & distribuer les leçons d’expérience aux jeunes agriculteurs. Sa mémoire étoit le sûr dépôt des observations faites pendant quatre-vingts années consécutives sur la variété des diverses saisons. Tel arbre planté de ses mains, dans telle ou telle année, lui rappelloit la faveur ou le couroux du ciel. Il savoit par cœur ce que les hommes oublient ; les morts, les récoltes abondantes, les legs faits aux pauvres. Il étoit doué comme d’un esprit prophétique, & lorsqu’il méditoit au clair de la lune, il savoit de quelle semence il de-