Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/135

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elle passait soudainement de l’aigu au grave, et du grave au ton le plus aigu. Il s’écoutait parler quand il proposait une question. On ne pouvait mettre plus d’assurance dans les dénégations, plus d’adresse à dénaturer les faits, à les isoler, et surtout à placer à propos un Alibi. Quand un juge lui présentait un jugement en blanc signé de sa main, il ne tremblait pas devant le témoin accusateur. Lorsque la preuve était péremptoire, il couvrait tout l’auditoire d’épouvantables rugissements. L’imposture, l’audace, l’opiniâtreté, la colère étaient les seules armes qu’il opposait à la puissance de la vérité ; toutes les passions criminelles s’échappaient à la fois du fond de sa conscience, et le mettaient, pour ainsi dire, à jour aux yeux des spectateurs.

Ce monstre à figure humaine avait la tête ronde, les cheveux noirs et unis, le front étroit et blême, les yeux chatoyants, ronds et petits, le visage plein et grêlé, le regard tantôt fixe, tantôt oblique, la taille moyenne, la jambe assez forte.

Sous le règne sanguinaire de ce second dictateur, nous ne pouvions plus appeler la patrie notre mère, elle n’était que le tombeau de ses enfants. Pas un être, excepté celui qui avait mis sous les pieds toute espèce de sentiment, qu’on y vît sourire une seule fois. Des familles entières passaient les jours et les nuits à pleurer, à gémir, à trembler, dans l’attente des satellites que ce tyran relançait dans les maisons opulentes.

Ceux qui ont heureusement échappé à son pouvoir tyrannique l’ont à leur tour vu dans le tombereau qui l’a conduit au supplice. Les vastes degrés du Palais de Justice étaient couverts d’une foule immense de spectateurs qui, au premier aspect de ce grand coupable, jetèrent un cri unanime d’indignation. Leurs voix accusatrices furent autant de flèches qui frappèrent à la fois sa poitrine découverte. Son front impénétrable comme le marbre défia tous les regards ; on le vit même sourire et proférer des paroles menaçantes. Mais au pied de l’échafaud, lorsqu’il