Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/102

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a88 MERCVRE DE FRANCE— 16-XI -1908 pleurais, je m’indignais comme un marmot, de ne point trou­ ver boutons, cols et manchettes et je l ’appelais pour l’achève­ ment de la toilette. J ’ en vins à ignorer mes propres affaires, heureux d’avoir trouvé quelqu’ un qui prît ma place et parlât pour moi. Avis, prières, insinuations, jamais n’ éclataient au dehors. Elle se montrait en public avec toutes les marques de la bonté, avec tout l’étalage d ’une audacieuse humilité, avec toute l’ en­ flure d’ une admiration pour le pur talent. Mon cerveau de­ vint un capital dont il fallait que la douce propriétaire tirât un revenu et le rôle de tourmenteuse transforma naturellement le logis en office de spéculation. A mesure que dans le corps àcorps s’amoindrissait mon éner­ gie, sa prévoyance et son bon sens de bourgeoise entendue aux affaires faisaient plus ardente l’ admirable flamme maternelle. Les bonnes, des vieilles et des mégères, ricanèrent, témoins, souvent complices, de mon abaissement. Elles inspectaient mon linge, flairaientmon équivoque chas­ teté, souillaient ma chambre de leur minutieuse et louche pro­ preté. Sous couleur d’affermir et de prolonger ma santé, les purges et les latrines .empuantaient ma bouche et mes travaux. Je devins petit, petit, contre le ventre stérile, sur le sein’ de pierre. Je subis sans me révolter l ’ enveloppement de sa misé­ ricordieuse sollicitude. El quand je découvris les gestes faux, le verbiage artificiel, l ’ air pâteux d’intérêts, les visages gras, cy­ niques et sournois de ceux qui m’ entouraient par sa volonté, découronné de mes rêves, réduit à la bassesse de monnaie, massé d’entêtés caprices et d’infâmes parfumeries, je ne dé­ sirais plus qu’une sorte de bien-être placide. Le vampire m’ a­ vait aspiré par tous les pores et se montrait las, lui aussi, de ne broyer que des muscles atrophiés. Elle avait accompli son destin de dévorer une âme éblouie de beauté. Le châtiment effroyable de ma veulerie serait de la retrouver au seuil de l’infini, me saluant de ces mots. « Je suis la mère, l’amante, la sœur, je suis l’adorable Isis. »