Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/161

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étranger à la saga originale. L’amalgame est factice et, nulle autre part peut-être, le disparate n’en semble si flagrant qu’ en cet aboutis­sement de l’intrigue. En dépit du sublime annoncé, on songe irrésis­tiblement que, dans ce Crépuscule, il y a presque un sujet de vaude­ville, avec ce falot Gunther qui envoie un ami, déguisé sous ses traits, lui quérir une épouse en un lieu dangereux, et puis qui se demande après s’il ne s’est rien passé d’inconvenant durant le court voyage, ahuri quand sa femme dénonce en l’obligeant commission­naire un infidèle qu’elle nomme et dont elle réclame un anneau. Toute cette histoire d’amnésie, de remplacement, de bague et bigamie, qui nous conduit, avec Hagen, à l’Ambigu, est, en somme, assez puérile en sa complication laborieuse. On y goûterait volontiers la sa­veur d’ une chanson de geste primitive, délassement de simplistes ancêtres, mais que, de ce mélo candidement entortillé, sorte impromptu l’écroulement d’un Ciel et « la régénération du monde par l’amour », il n’y a plus ici, à l’heure qu’il est, que de quoi nous interloquer. Avec son falbalas d’allégorie postiche, son affabulation incontinente opiniâtrement ajustée au fruste réalisme épique ou légendaire, le drame lyrique wagnérien portait en soi le germe de sa ruine. Nous constatons aujourd’hui sans remède tout le faux, le chiqué de cette symbologie mâtinée d’intellectualisme abstrait. De tout cela, il reste et restera la musique intangible à travers les siècles. Et cependant cette musique immortelle, elle non plus, nous ne l’entendons pas comme autrefois. Cette musique, dont l’enchantement dio­nysiaque nous enivra jadis jusqu’à l’hypnose, où nous croyions entendre la voix de la nature impolluée, nous l’éprouvons désor­ mais incoërciblement comme un art. Et il est troublant qu’il puisse nous sembler déjà que cet art soit décidément devenu « historique ». Peut-être notre illusion durerait-elle encore pourtant sans la révéla­tion de Boris après Pelléas. Que d’insues conventions nous furent dévoilées soudain par l’ingénu chef-d’œuvre ! Il ne saurait être ques­tion d’égaler ou d’opposer Moussorgsky à Wagner, mais, à l’éclair de ce Boris, nous avons mesuré tout d’un coup stupéfaits l’incons­cient artificiel inhérent à notre culture occidentale, partant, à notre sensibilité même, marinée dans ce bouillon inéluctable. Et sans doute en percevons-nous plus nettement qu’hier la dose de culture corréla­tive infuse, inhérente à l’art wagnérien.

JEAN MARNOLD.

ART ANCIEN

Le Portrait de François René Molé, par Étienne Aubry. — J’ai raconté dans la Chronique des Arts (1er novembre) comment j’avais eu le plaisir de découvrir l’auteur du très joli por­-