Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/92

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378 MERCVRE DE FRANCE— 16-X1-1908 ceau, il prend le mot patrie pour synonyme du mot groupe­ ment ; et, dès lors, tout son raisonnement se tient. Il est clair que si j’avais rêvé, comme il semble le croire, une humanité amorphe dans laquelle il n’ existerait aucun échelon intermé­ diaire entre le genre humain dans son ensemble et l’ individu isolé, j ’aurais commis une lourde erreur. Mais cette erreur-là, je ne l’ ai commise ni dans le désarmement ou l’ alliance anglaise, où, en réponse à Clemenceau, je me suis nettement exprimé sur ce point, ni dans un autre livre, l ’Humanitè et la patrie, que M. Novicow n’a peut-être pas lu, et où je recherche quels seront les groupements successifs dont se composera la fédération mondiale. J’appelle patries les grou­ pes politiques qui vivent sous un même ensemble de lois et de coutumes: tels l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie, les Etats-Unis, la Suisse..., etc., etc.. Et, à propos de la Suisse, je fais justement remarquer qu’une patrie peut être constituée par des groupes humains parlant des lan­ gues différentes, d’ où je conclus à la possibilité d’ une nation européenne aujourd’hui, européo-américaine demain, mon­ diale plus tard, malgré la diversité des idiomes qui seraient parlés dans une « patrie » ainsi agrandie. M. Novicow n’ a pas lu ou n’a pas compris, car il me de­ mande à plusieurs reprises si le jo u r où France et Angleterre vivraient sous le même régime politique — et il auraitdû ajou­ ter : économique, — tous les Anglais se mettraient à parler français ou tous les Français à parler anglais. L ’écrivain slave me prête, en m’ adressant cette question, une pure ineptie; et vraiment, s’ il n’écrivait notre langue avec une extrême pureté, je serais tenté de lui dire qu’ il s’ est chargé de la réponse en montrant qu’ en sa qualité de Russe il avait été incapable de comprendre ce que j ’ avais écrit en français. Après avoir ainsi confondu deux notions, celle de langue et celle de patrie, M. Novicow de poursuivre: « Assurément on peut faire, par exemple, qu’il n’y ait plus d’Empire d’A u ­ triche, cela ne voudra pas dire que la Carinlhie, le Tyrol, la Bohême, la Hongrie s’ effondreront sous les eaux ou que leurs habitants mourront immédiatement jusqu’ au dernier. » Si l’on ne connaissait M. Novicow, on se demanderait si c’ est un écrivain sérieux qui a pu laisser tomber de sa plume un argument aussi puéril.