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REVUE DE LA QUINZAINE179targ'e qui pour eux représente, presque seul, la littérature norvégien¬
ne, et à faire des rapprochements qui ne s’imposent pas. Cela tient
aussi à une certaine tendance, commune à Ibsen et à M. Johan Bojer,
mais aussi à un grand nombre d’écrivains scandinaves : la tendance
.à traiter des problèmes moraux et des cas de conscience. Mais peut-
on dire que la pensée ibsénieone soit contredite par l’œuvre de
M. Johan Bojer ? Il est bien difficile de contredire Ibsen, car il s’est
trop contredit lui-même. Il voyait trop le pour et le contre de toute
doctrine. Il croyait les vérités humaines, les idéals, trop éphémères.
Il disait : « Je questionne surtout, mon rôle n’est pas de répondre. »
Si M. Joban Bojer manque de confiance en la valeur pratique et mo¬
rale des croyances que se forgent les hommes, n’est-il pas, au fond
d’accord avec le scepticisme d’Ibsen, qui n’a guère manqué de mon¬
trer la vulgarité et les funestes effets des idéals mêmes qu’il avait
paru exalter ?En un discours adressé aux étudiants, le 10 septembre 1874» Ibsen
disait : « Quel est celui d’entre nous qui, au moins quelquefois,
poursuivant des fins égoïstes, n’a pas embelli sa conduite, aux yeux
des autres et aux siens, moitié consciemment, et moitié de bonne
foi ? » Cette simple observation, qui n’est, certes, pas la révélation
d’une découverte, exprime, en somme, sous une forme .toute terre-à-
terre, le sujet même et la conclusion du roman de M. Johan Bojer.Cela n’empêche que l’œuvre d’Ibsen laisse l’impression que l’au¬
teur admire une foi robuste, et aussi qu’il est lui-même un croyant,
encore que d’une foi assez indéterminée. Au contraire, M. Johan
Bojer, dans tous ses romans (moins dans son théâtre) suggère un
scepticisme presque absolu, et fait penser que l’auteur regarde les
individus et les drames humains avec une objectivité, on pourrait
dire, indifférente.Je n’examinerai pas si l’impassibilité d’Ibsen n’est pas, en réalité,
beaucoup plus grande que celte de M. Johan Bojer. Qu’il me suffise
d’avoir indiqué, et c’est là le seul rapprochement qui vraiment nous
importe, combien l’histoire d’Erik Evje est vivante, et par moments
poigüante, et combien elle suggère, sans vaines dissertations de l’au¬
teur, de réflexions profondes. Je ne sais si l’observation courante et
presque banale qui est le thème de ce livre avait déjà été prise comme
sujet. Il fallait un écrivain de sa valeur pour en tirer une étude aussi
pénétrante, en un roman d’une beauté aussi tragique.Lt^Les Cahiers de la Quinzaine viennent de publier le Portrait
d’Ibsen, par Suarès. C’est une étude qui porte la date: 1901. L'au¬
teur y développe des idées personnelles suggérées par ses réflexions
à propos d’Ibsen, plutôt qu’il n’étudie soit la personne, soit l’œuvre
du grand dramaturg-e. On n’y trouve, en effet, ni biographie, ni ana