Page:Mercure de France, t. 77, n° 278, 16 janvier 1909.djvu/136

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3a8 MERCVRK DE FRANCE— 16-1-1909 lectuels sont automatiques — la suite de ses idées ne peut jamais dévier. a L’analyse d’un seul exemple suffira. Vous avez entendu assez souvent (fi! pour vous au cas où vous l’auriez dit) : S i vous voyiez ce coucher de soleilreproduit tel quel sur la toile d’un artiste, vous ne croiriez jam ais que c’est v ra i! Or, ii faut bien se rendre compte que ce n’est pas seulement parce que la remarque est banale q u’elle est bromidique, c ’est parce que, chez le bromide, elle est inévitable. On l’attend de lui, et on n’est jamais déçu. En outre, elle est toujours servie par le bromide comme méditée, originale, bonne à dire et profonde. II croit réellement, sans aucun doute, qu’elle est neuve, car il s’attend bien à être applaudi. La remarque suit le stimulus physique ou mental comme la nuit suit le j o u r ; le bromide est absolument incapable,dès lors, d’avoir aucune autre impulsion. L ’origina­ lité a été tuée en lui depuis le temps de son arrière-grand’ mère. I/habitude est invétérée en lui. Ce sera un bromide, vous vous en douiez bien, celui qui, rentrant d’ une course, trempé, vous confiera : « Naturellement il suffit de laisser son parapluie chez s oi pour q u ’ il pleuve », ou plus spirituellement encore : « Le bareaa météorologique annonçaitle beau, ilfallait s’attendre à la plaie. » Ai-je dit que M. Burgess a exposé sa théorie dans une plaquette intitulée : Etes-vous un bromide ? et qu’on s’arrache, aux Etats- Unis ? Il faut le savoir pour comprendre la conclusion de M.Schinz, qui est la suivante : Si, après avoir lu attentivement le traité bromidien — ou seulement ces pages-ci — vous vous dites : Je ne dirai plus jamais : « On se fait vieux *, ou si vous faites à part vous le serment solennel de ne plus admirer de votre vie un remarquable coucher de soleil ; ou si vous sentez que vo us vous couperiez plutôt la langue avec les dents que d’adresser, à vous- même ou aux autres, cette humiliante réflexion : « Que je laisse mon para­ pluie chez moi, il pleuvra certainement » ; bref, si vous êtes décidé absolu­ ment à faire des efforts héroïques pour ne pas paraître bromidien — alo rs, à la question fatidique, répondez : « Oui ! » Mais si, après cette lecture, vous ne vous sentez point troublé, si vous croyez être certain que votre cœur ne bat guère plus vite qu’à l’ordinaire et que vous êtes prêt à vaquer à vos occupations quotidiennes comme s i aucune révélation désagréable ne vous eût été faite — alors... toute espérance n’est peut-être pas per­ due I Un dernier mot : Si votre conscience vous commandait impérieusement de vous arrêter à la première alternative, ne désespérez point du paradis. On peut être un bromide convaincu et cependant être j u g é digne de la plus enviable destinée. Le bromide a du bon,même au point de vue d’un sulfite : j ’ en appelle au témoignage de M. Burgess : « Un bromide — nous dit-il — peut éprouver de l’amour, roê:ne se marier. V otre propre mère, votre sœur, votre bien-aimée peuvent être broraidienes, vous ne les en porterez pas moins dans votre cœur. L es bromides sont reposants et soporifiques. Vous pouvez ne les avoir pas compris; avant d’avoir entendu parler de la théorie des sulfites, vous étiez ennuyé de leur monotonie, de leu r dogma­