Page:Mercure de France, t. 77, n° 278, 16 janvier 1909.djvu/14

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La politique austro-hongroise a compromis la paix et, d’autre part, elle consolide la paix. Curieuse contradiction ! et pourtant le second terme n’est pas moins exact que le premier. L ’histoire est à deux faces. Extraordinaires parfois sont les contrecoups d’événements simples d’apparence. La crise d’Orient arme les puissances les unes contre les autres, et en même temps elle annule ou atténue un élément de perturbation mondiale : le militarisme allemand.

Toute la conception de la politique germanique reposait sur la double notion d’une Autriche-Hongrie forte et libre de ses mouvements, et d’une Italie neutralisée par son adhésion à la Triplice. Or, cette conception a croulé en totalité.

Aussi longtemps que la chancellerie berlinoise avait lié la Porte à sa propre cause, et exercé une véritable tutelle sur la diplomatie ottomane ; aussi longtemps qu’elle avait réussi à maintenir des rapports cordiaux entre Vienne et Pétersbourg (le pacte de Muerzteg avait admirablement servi ses plans), — elle avait été sûre que l’Autriche-Hongrie aurait pu, en cas de guerre européenne, la seconder avec efficacité. Mais l’Empire des Habsbourg aujourd’hui sollicite beaucoup plus l’aide de l’Allemagne qu’il ne lui offre son propre concours. La Russie, la Turquie, les États Slaves des Balkans, que la force des choses réunit contre la politique du baron d’Ærenthal, immobiliseraient les forces austro-hougroises, et, bien mieux, les écraseraient avec facilité, si quelques centaines de milliers d’Allemands n’accouraient à la frontière galicienne, croate et bosniaque.

La neutralité italienne, à l’endroit du cabinet de Vienne, se change en antipathie, que dis-je, en hostilité. Le discours que M. Fortis a prononcé, en décembre, à la Chambre de Rome, et que le président du conseil, M. Giolitti, a si fort applaudi, a eu un immense retentissement dans la péninsule. En l’hypothèse d’un conflit européen, l’Italie ne prendrait point parti pour l’Autriche.

Et ainsi la politique bismarckienne s’est définitivement effondrée. Le chancelier de fer voulait engager l’Autriche en Orient pour créer une friction permanente entre elle et la Russie, mais il écartait l’idée d’un antagonisme violent entre l’État tsarien et celui des Habsbourg ; il cherchait l’équilibre, non la rupture. Et de même il avait lié l’Autriche et l’Italie en un faisceau si étroit que ni l’une ni l’autre ne gardât la liberté de ses mouve-