Page:Mercure de France, t. 77, n° 278, 16 janvier 1909.djvu/23

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des compagnons les plus courtoisies plus distingués et les plus intelligents que j’aie rencontrés au cours de mes pérégrinations à travers plusieurs parties du globe ; en outre, il avait une raison spéciale pour être un excellent homme et un excellent époux, car il avait une femme d’une beauté et d’un charme incomparables… avec une nature et une humeur d’une douceur extrêmes.

À cela ne se borne pas le témoignage flatteur de Mr Gowans. On pourrait citer beaucoup d’autres attestations similaires, concernant la bonté, la douceur, et même la sobriété de Poe, mais comme des gens qui n’ont rien à faire avec la vie privée d’un homme de lettres ont exagéré, honni et réprouvé ce qui est la seule tache malheureuse sur le blason de Poe, — et comme Shakespeare l’a formulé :

I am traduced by tongues which neither know
My faculties, nor person, yet will be
The chronicles of my doing, —


il est équitable de permettre à l’accusé le soin de répondre au reproche d’intempérance qu’on argue contre lui. Le 1er avril 1841, Poe écrivait à son ami, le Dr Snodgrass :

À aucune période de ma vie, je n’ai été ce qu’on appelle un ivrogne. Je n’ai jamais eu l’habitude de m’enivrer. Je ne me suis jam ais adonné aux liqueurs fortes. Mais pendant une brève période, alors que je résidais à Richmond, où je dirigeais le Messenger, j’ai certainement, à de longs intervalles, cédé à la tentation offerte de tous côtés par la cordiale sociabilité du Sud… Il y a maintenant quatre ans au moins que j ’ai renoncé à toute boisson alcoolique… Mon unique boisson est l’eau.

À la mort de son épouse bien-aimée, les habitudes de Poe se pervertirent, et, par moments, il fut vraiment atteint de démence,résultat de l’abus des boissons agissant sur une sensibilité et une intelligence exacerbées, et sur une constitution physique affaiblie par les privations. Avec ce qui lui restait de résistance physique et de courage moral, le malheureux s’efforçait de résister à la tentation, ainsi qu’il l’écrivait à un ami très cher :

L’horrible agonie que j’ai récemment endurée — agonie qui n’est connue que de mon Dieu et de moi, — semble avoir fait passer mon âme par les flammes et l’avoir purifiée de tout ce qui est faible. Désormais, je serai fort — ceux qui m’aiment le reconnaîtront, — de même que ceux qui se sont si impitoyablement efforcés de me perdre.