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i. — manuscrits et langue

n’y a guère de poème provençal un peu long dans lequel on ne puisse relever maint exemple de formes divergentes admises à la rime. Dans nos vieilles chansons de geste, on trouve tenir et tenoir, veïr et veoir, avera et avra, va et vait, des premières personnes du pluriel en omes à côté des formes plus habituelles en om et en ons, des secondes personnes du pluriel des futurs et de certains subjonctifs présents en oiz et en éz, des imparfaits de l’indicatif, première conjugaison, en ot et en oit, etc. Entre ces formes, il en est assurément qui se sont développées sur le même terrain, ordinairement par des procédés différents, les unes étant le résultat de la dérivation étymologique, les autres étant le produit de l’analogie. On conçoit que de telles formes aient pu coexister dans le même pays et être employées ad libitum ; tel est le cas de tenoir et tenir, de veoir et veïr, des secondes personnes en oiz et en éz. Mais cette explication ne saurait rendre compte de toutes les divergences, et il faut bien admettre aussi que souvent les poètes se sont donné la liberté d’associer dans la même composition des formes appartenant à des territoires distincts.

Or, telle est, si j’ai bien observé les faits, la cause des inconséquences qu’on observe dans la langue de notre chanson. L’auteur n’écrit pas strictement l’idiome d’une localité déterminée : il recueille les éléments de sa langue sur un espace relativement vaste, donnant instinctivement la préférence à l’usage de son pays d’origine, mais ne se faisant pas scrupule d’employer concurremment un usage différent lorsqu’il y trouve une commodité plus grande pour faire sa rime. Toutes ses formes sont en elles-mêmes correctes et régulières ; seule, leur réunion constitue l’irrégularité. C’est à grand’peine qu’on peut trouver, de loin en loin, quelque cas de modification arbitraire, et encore est-il à noter que ces cas sont fournis à peu près uniquement par des noms de personnes. Par exemple, le Thierri d’Ascane des tirades 104, 204, 384, devient Thierri d’Ascance aux tirades 111, 211,