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cxci
i. — manuscrits et langue

lieux nous montrent cet a modifié en é. Mais les chartes ne paraissent pas avant le xiiie siècle, et nous ne savons pas si l’invasion du poitevin avait produit son effet au xiie siècle, époque où fut renouvelée notre chanson de geste. Il y eut indubitablement un moment, à quelque époque qu’on veuille le placer, où l’idiome indigène et l’idiome nouvellement établi se sont trouvés en lutte ; alors on dut entendre, dans les mêmes lieux, des formes originaires de pays plus ou moins distants. Si la chanson renouvelée a été composée à ce moment et en un de ces lieux, les inconséquences grammaticales qu’on y observe s’expliquent de la façon la plus naturelle. Mais on conçoit que cette hypothèse n’est pas susceptible de preuve, et l’explication proposée plus haut (p. clxxxv) suffit.

Par contre, ce qui peut être prouvé, c’est que notre chanson n’appartient pas à la région orientale de la zone ci-dessus indiquée. À partir de Lyon, en allant vers l’est, le roman présente un caractère très notable, qui a servi naguère à définir un nouveau groupe roman, celui des dialectes franco-provençaux[1]. Ce caractère consiste en ceci que, dans plusieurs séries de formes, notamment dans les infinitifs de la première conjugaison, a tonique libre devient é lorsqu’il est précédé d’un son mouillé (i semi-voyelle, g, ch, l et n mouillées, etc.), tandis que, en tout autre cas, il persiste sans changement. Ainsi laissier, mengier, travallier, mais amar, chantar. Or, cette règle ne se vérifie pas dans Girart : les sons mouillés n’empêchent nullement l’a de se conserver. Notre poème a donc été composé, selon toute probabilité, à la latitude de Lyon, mais sûrement plus à l’ouest.

En terminant cette dissertation, que je donne non comme

    cherie sont peut-être les derniers effets de ce mouvement de translation.

  1. Voy. les Schizzi franco-provenzali de M. Ascoli, dans le t. III de l’Archivio glottologico.