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ii. — histoire de charles martel

Certes la noble dame fut par maintes fois constrainte de ouyr plenté de paroles dont moult voulentiers elle se feust passée. Mais elle leur repondoit (vo) moult sagement et disoit ; « Ha ! ha ! beaus seigneurs, de ce ne me vueillés parler, car pour nul tresor je ne vouldroye celluy laissier ne habandonner quy povre fille m’a prins et qui m’a eslevée et nourrie, tellement que jamais je ne le pourroie hayr. » Si en tindrent grant compte tous ceulx quy ainsi l’ouoient excuser. Et bien dirent qu’elle estoit moult vaillant femme quant ainsi se sçavoit honnourablement maintenir et gouverner en sa povreté ; et, quy plus estoit, par le grant sens qu’elle avoit, jamais de tout ce ne faisoit quelque mention a son seigneur Gerard, lequel se occupoit par chascun jour a aler au bois querir et porter le charbon a son col jusques en la ville de Buillon ou il le vendoit tout le mieulx qu’il pouoit, et revenoit une foix ou deux la sepmaine a l’ostel vers la dame quy tant l’aymoit que l’en ne pourroit plus et luy elle. [§ 534] Et dist l’istoire que ilz furent ensemble assez longuement vivans en telle et si austere povreté que nul homme n’eust jamais pour rien recogneu Gerard, non mie Aymon duc d’Ardenne[1] et filz au vaillant duc Thierry que Boos et Seguin son parent occirent a Saint Germain des prez lez Paris, comme dit est. Si veoit le duc Gerard moult souvent les barons lors qu’il alloit a Buillon et es autres bonnes villes du paijs, et si veoit des chevalliers et nobles hommes qui jamais ne l’eussent recongneu ne pensé a son fait, tant estoit de charbon ou de poussier noir et espouentable a regarder.

Il advint ung jour entre les autres, ainsi comme le duc Gerard et la duchesse Berthe vivoient en telle povreté comme vous avez ouy racompter, et que les seigneurs du paijs estoient en paix, que plus n’avoient de (fol. iiijc lxxiij) guerre, ilz voulurent a une haute feste faire unes joustes ou ung tournoy emprès Buillon, et la devoient estre tous les nobles hommes, les dames et les damoiselles de la contrée. Et avoient pour ce faire dreschié hourdeis et eschaffaulx pour arrengier dessus les anciens che-

  1. Ce personnage doit-il être identifié avec l’Aimenon ou Aimon, seigneur de Bourges et l’un des fils ou des neveux de Thierri, qui paraît à diverses reprises dans la chanson ? Voy. ce nom à la table.