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girart de roussillon

de sanglier, de la volaille, du poisson de mer, et fit boire à son hôte du piment et du bon vin clair. Pierre était tout las d’avoir chevauché : on fit les lits, ils allèrent se coucher, et Aimenon amena à son hôte une fille pour le tâtonner[1]. Cette nuit Pierre resta au lit jusqu’au grand jour. Alors il se vêtit et chaussa, puis il se rendit au moûtier pour ouïr la messe. Girart, de son côté, convoqua ses barons.

258. Girart est à Roussillon sur Seine, en une chambre voûtée aux murs cimentés. Il a mandé les barons de ce pays : il n’y a bon chevalier qui ne vienne à lui : « Seigneurs, qui sait conseil ait garde de le cacher : Que dois-je faire à l’égard de Charles, mon seigneur, qui de ma terre ne veut pas laisser subsister trace ? » Guillaume d’Autun ne voulut pas celer sa pensée : « Fais droit à ton seigneur dans la mesure convenable, à Reims, à Soissons ou à Compiègne ; et si, par son orgueil, il ne le daigne prendre, fais de sa guerre autant de cas que d’une châtaigne, et prie Dieu de

  1. Divers témoignages que l’on trouvera réunis presque tous dans un article de la Romania, IV, 394-3, constatent qu’il était usuel au moyen âge de se faire « tâtonner » ou gratter en vue de provoquer le sommeil. C’était, paraît-il, l’un des devoirs de l’hospitalité de pourvoir à ce que l’hôte fût ainsi endormi confortablement. Ainsi dans Aiol une jeune fille assiste au coucher du héros du poëme, borde son lit, et

    Douchement le tastone por endormir.
    (Édit. de la Société des anciens textes français, v. 2158.)

    Cette opération, bien que le soin en fût confié aux femmes, n’était pas considérée comme compromettante pour celles qui l’exerçaient. Du moins voit-on des dames au-dessus de tout soupçon « tâtonner » leur hôte pour les faire dormir. Mais on conçoit pourtant que parfois des conséquences autres que celles qu’on avait en vue aient pu se produire, et en fait un poète satirique des premières années du xiiie siècle reproche à certains ecclésiastiques d’avoir la nuit auprès d’eux des jeunes filles « qui les tastunent » (Romania, IV, 391, v. 125). Ici même nous verrons le messager de Charles rendant compte au roi de son message, se louer de son hôte qui lui a donné la plus belle fille qu’on ait jamais vue (ci-après, § 299, P. vv. 3927-8).