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girart de roussillon

390. Cette bataille eut lieu un samedi, à Civaux, le long de la Vienne, en un pré. Là vous auriez vu tant de damoiseaux, la bouche ouverte, tant de barons étendus morts [sur la route. Ce fut un jour de malheur, celui où fut résolue et commencée cette guerre maudite de Dieu. France et Bourgogne en furent dépeuplées. Ah ! Dieu, quel deuil pour les mesnies de Charles et de Girart, qui s’étaient engagées par serment à combattre jusqu’à la mort. Ils étaient animés, mais leur ardeur ne venait pas de Dieu, à faire grand carnage[1]] par la plaine herbue. Tant de sang fut répandu par les champs couverts de rosée que l’eau de la Vienne en était sanglante pendant une lieue.

391. Cette bataille eut lieu un jour d’été et dura jusqu’à la nuit, telle était leur fureur. Landri[2] et Auberi se sont rencontrés, frappés, renversés, blessés à mort. Si je nommais tous ceux qui ont jouté, si je contais comment chacun s’est battu, je ne serais pas arrivé demain à la moitié de mon récit. Boson, Fouque, Bernart font un grant abattis. Ils n’avaient à leur suite que sept mille combattants, et cependant ils ont chassé du champ de bataille Charles qui avait dix mille hommes ; mais, avant qu’ils les eussent fait reculer d’une portée de trait, la moitié d’entre eux était couchée sur le sol et les rangs de ceux de Fouque étaient bien éclaircis. Alors Charles eut peur et son cœur se remplit de dépit. Contraint par la nécessité[3], il appela, en sonnant du cor, trois mille Allemands qu’il avait placés en réserve. Ceux-ci arrivent en rangs serrés ; ils trouvent les combattants [des deux partis] tout mêlés, et les rangs confondus ; chargeant en masse, ils les ont troués et deux fois les ont traversés.

392. Les Allemands s’avancent, chantant leur Kyrie[4].

  1. Ce qui est entre [] manque dans Oxf. (P. vv. 5159-67).
  2. Landri de Nevers.
  3. Comme Rolant à Roncevaux.
  4. Du Cange, sous Kyrie eleison, et dans sa onzième dissertation (du cry d’armes), éd. Henschel, p. 47 b, cite des textes qui établissent