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L’examen des théories physiques qualitatives ne fait que confirmer la conclusion à laquelle nous venons d’aboutir par l’analyse aussi bien des théories mécanistes que des conceptions du sens commun. Ce qui caractérise véritablement les éléments péripatétiques, ce qui fait que leur essence est celle d’éléments, de composants censés former les corps de l’univers sensible, c’est manifestement la persistance de cette qualité, qui change de lieu, mais demeure identique à elle-même, reconnaissable par la sensation immédiate tels le chaud et le froid, le sec et l’humide chez Aristote. Les alchimistes, issus de la même manière de penser qualitative, y ajoutent (ou y substituent même partiellement) des concepts moins immédiats, plus raffinés en quelque sorte, et celui d’une qualité de combustibilité, entre autres, a une fortune singulière, puisqu’il survit longuement à la ruine de la physique péripatétique tout entière, faisant preuve d’une pleine vigueur et d’une véritable fécondité scientifique encore au beau milieu du XVIIIe siècle. Des témoignages de chimistes autorisés, tels que J.-B. Dumas, M. Berthelot et Grimaux (sans parler du jugement le plus compétent de tous, celui de Kopp, qui pourrait paraître suspect, en tant qu’Allemand), ne permettent aucun doute à ce sujet, en dépit des rares opinions adverses — telle que celle de Wurtz, inspirée manifestement par un parti pris étranger à des considérations de pure science, et aussi du préjugé assez répandu, en effet, de nos jours, lequel a sa source dans la mésestime systématique pour le savoir et la pensée du passé. Et il est presque inutile de faire ressortir que c’est bien la permanence d’une qualité — ou même de plusieurs, car le principe de la combustibilité devient aussi celui de la couleur, de l’odeur, etc. — qui crée le phlogistique.

Cependant, rappelons-le, cette permanence n’est qu’une forme du postulat d’identité, de notre désir de comprendre le réel senti, de le concevoir comme rationnel. Or, comment supposer un identique autre qu’individuel ? Comment — et surtout si ce signe distinctif de la sensation, qui caractérisait, nous venons de le rappeler, l’élément des théories qualitatives, fait défaut, fera-t-on pour reconnaître l’élément identique, comment arrivera-t-on à concevoir son déplacement, qui est, nous le savons, le seul changement qu’il soit susceptible de subir et qui doit donc, de ce fait même, constituer la véritable essence de tout ce qui nous apparaît comme changement dans le monde phénoménal ?