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qui attendrait que la brique lui fût montée à l’échaufaudage par le mouvement brownien, serait à bon droit considéré comme fou (cf. E. S., p. 122). Cependant, sous le microscope, nous voyons parfaitement des mouvements tout pareils se produire, et ce qui les rend impossibles dans le molaire, c’est uniquement le fait que, par suite du nombre immense des éléments mis en jeu, l’improbabilité d’un tel phénomène s’accroît jusqu’à devenir quasiment infinie.

Il s’ensuit que si l’on doit admettre que l’indéterminisme quantique, dans le cas du libre arbitre, se répercute dans le molaire, on devra supposer que le cours des phénomènes suit, cette fois, une direction inverse de celle que nous lui avions vu prendre dans la physique des corps inanimés : au lieu de s’estomper à mesure qu’il passe du sous-atomique (ou microscopique) à l’atomique, au moléculaire et au molaire macroscopique, pour se trouver enfin complètement oblitéré dans ce dernier, cet indéterminisme devra se manifester de plus en plus visiblement. C’est là assurément ce que pense M. Bohr, et l’observation relative aux rapports entre le photon et la sensation visuelle est destinée à montrer qu’il est au moins possible qu’il en aille ainsi.

C’est ce qui a été aussi exposé tout récemment et d’un peu plus près par M. Jordan[1] dont on connaît les importantes contributions à la théorie des quanta. L’homme ainsi que d’ailleurs tout organisme vivant nous dit cet auteur, ne doit point être considéré comme étant constitué à la manière des objets macroscopiques inorganisés. La conception qu’exprime le terme bien connu l’homme-machine est tout simplement erronée. Car ce qui caractérise l’organisme, c’est précisément le fait que l’indétermination atomique s’y renforce de manière à devenir une indétermination macroscopique. Cela évidemment suppose l’existence de dispositifs particuliers conditionnant un « renforcement », et M. Jordan n’hésite point à supposer que de tels « arrangements de renforcement » se trouvent en effet réalisés dans l’organisme. Ils le mettent à même de se soustraire, dans un cas particulier, au déterminisme strict qui gouverne le molaire inorganisé ; le déterminé des grands nombres ne se retrouve ici que si l’on considère un

  1. P. Jordan, Die Quantenmechanik und die Grundprobleme der Biologie und Psychologie, Die Naturwissenschaften, 20e an., fascicule 45, 4 nov. 1932, p. 818-821.