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manière évidente autant qu’imperturbable ce régime de l’univers ». Or, ce qui est certain, c’est que les stoïciens n’avaient pas de physique, ne s’intéressaient pas à ce domaine du savoir. En revanche, leurs adversaires épicuriens y insistaient beaucoup, et nous connaissons fort bien cette partie de leur doctrine par des fragments d’Épicure lui-même, et surtout par ce chef-d’œuvre de la poésie latine, le De natura rerum de Lucrèce. Mais on sait que les fondements de cette physique renferment, sous les espèces du fameux clinamen, un élément nettement indéterministe.

À l’origine de la physique moderne (nous en avons dit un mot plus haut, p. 30), Descartes n’est certainement pas déterministe dans le sens que nous donnons actuellement à ce terme, et il va sans dire que l’opinion scientifique de l’Europe entière emboite, en cette matière, le pas au grand penseur. Pourtant, dès la génération suivante, Spinoza, semble, avec autant de précision que les stoïciens, réaffirmer le déterminisme universel : « Il n’est rien donné de contingent dans la nature, mais tout y est déterminé par la nécessité de la nature divine à exister et à produire quelque effet d’une certaine manière ». Spinoza était-il néanmoins, en ce qui concerne la loi régissant le mouvement des corps, de l’avis de Descartes ? On sait qu’il ne s’intéressait pas particulièrement à la physique et qu’il se comportait en général, quand il en parlait, en cartésien d’assez stricte observance. Il semble aussi que, s’il avait différé, sur ce point important, de son grand prédécesseur, il n’eût pas manqué de nous en avertir. Il est donc pour le moins douteux qu’il n’y eût point, chez lui, dans cet ordre d’idées, quelque imprécision. Leibniz, par contre, est véritablement déterministe et insiste même beaucoup sur cette matière ; il se moque aussi bien du clinamen d’Epicure que de la conception cartésienne qui, déclare-t-il, a « fort mal réussi » (Opera philosophica, éd. Erdmann, p. 185, 598, 772, 778). Mais il est à remarquer que ce profond esprit — à qui rien n’était étranger de ce qui constituait le savoir de son époque, dans quelque domaine que ce fût — ne fait point valoir (nous l’avons mentionné plus haut, p. 36) la solidarité entre le déterminisme et la science, telle que la conçoivent les défenseurs actuels de ce point de vue. En effet, ce qu’il affirme, c’est que l’indétermination violerait le « grand principe » de la raison suffisante, puisque « vouloir qu’une détermination vienne d’une pleine indifférence absolument indéterminée, est vouloir qu’elle vienne natu-