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quand il réfléchissait à l’ensemble des résultats acquis dans un domaine plus ou moins nettement délimité de recherches, avait certainement l’habitude de rattacher sa pensée à une image, de la fixer à l’aide de cette image. Sans doute sentait-il simultanément (quoique plus ou moins obscurément) qu’il n’y avait là rien de définitif, rien qui ressemblât au clou dont parle Leibniz. Mais enfin cette image, pour vague, flottante, peu cohérente qu’elle fût, offrait néanmoins à l’esprit, obligé d’abandonner l’ontologie du sens commun, un abri au moins provisoire. Il n’en est plus ainsi à l’heure actuelle. Il suffit de parcourir les travaux de ces physiciens, de discuter avec eux ou d’assister à leurs débats pour se convaincre qu’à l’encontre de leurs aînés, ils ne sont plus en possession d’une véritable « image de l’univers » au moment où ils réfléchissent sur les constatations expérimentales, le Weltbild, qui joue un rôle si considérable dans l’exposé de M. Planck dont nous avons parlé, est parfaitement absent de leur pensée, laquelle se contente alors d’un cadre abstraitement mathématique. Sans doute, cela ne veut-il pas dire que cette pensée fasse complètement abstraction du comportement du réel physique. Non seulement en ce sens que tout mathématique — ainsi que nous croyons l’avoir montré, et comme cela a été confirmé, depuis, en ce qui concerne les hautes mathématiques, par une étude approfondie de M. Lichtenstein[1] — y fait nécessairement appel pour progresser, mais parce que toute physique visant, par essence, à expliquer les phénomènes, et la raison pure étant constitutionnellement incapable de nous fournir le changement qui est le trait qui les caractérise, nous sommes dans l’obligation de le tirer, que nous le voulions ou non, du réel. Nous avons dit tout à l’heure (p. 19, 20) ce qu’il en est, aussi bien du corpuscule que de l’onde, à ce point de vue, et il serait assurément difficile de nier que, dans l’un comme dans l’autre cas, l’image intervient, ou du moins est intervenue lors de la formation de la théorie.

Il ne sera peut-être pas inutile de dire ici quelques mots au sujet d’une confusion, que certains exposés de physiciens des quanta fort autorisés sont susceptibles de faire naître (nous oserions pres-

  1. L. Lichtenstein, La philosophie des Mathématiques selon M. Émile Meyerson, Revue Philosophique, mars-avril 1932, tr. André Metz, p. 169 et suiv.