Page:Meyerson - Réel et déterminisme dans la physique quantique.pdf/6

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’histoire des sciences, d’établir comment procède la raison humaine quand elle cherche à « comprendre ». Selon lui, dans la recherche scientifique comme dans la vie quotidienne, notre raison ne croit vraiment avoir compris que si elle est parvenue à dégager dans la réalité mouvante du monde physique des identités et des permanences. Ainsi s’explique en particulier la structure commune des théories physiques qui tentent de grouper des catégories de phénomènes par un réseau d’égalités, d’équations, cherchant toujours, autant que faire se peut, à éliminer la diversité et le changement réel et à montrer que le conséquent était en quelque sorte contenu dans l’antécédent. La réalisation complète de l’idéal poursuivi par la raison apparaît alors comme chimérique puisqu’elle consisterait à résorber toute la diversité qualitative et toutes les variations progressives de l’univers physique en une identité et une permanence absolues. Mais si cette réalisation complète est impossible, la nature du monde physique se prête néanmoins à un succès partiel de nos tentatives de rationalisation. Il existe, en effet, dans le monde physique non seulement des objets qui persistent à peu près semblables à eux-mêmes dans le temps, mais des catégories d’objets assez semblables entre eux pour que nous puissions les identifier en les réunissant dans un concept commun. Ce sont ces « fibres » de la réalité, comme dit M. Meyerson, que notre raison saisit dans l’expérience de la vie quotidienne pour constituer avec elles notre représentation habituelle du monde extérieur ; ce sont ces fibres également et d’autres plus subtiles, révélées à notre connaissance par les méthodes raffinées de la recherche expérimentale, dont la raison du savant s’empare pour chercher à extraire de la réalité variée et mouvante la part d’identique et de permanent qu’elle renferme. Aussi, grâce à l’existence de ces fibres, bien que l’idéal de la science soit en toute rigueur irréalisable, quelque science est possible : c’est là la grande merveille. Cette situation se trouve résumée par une phrase de M. Paul Valéry, phrase sans doute inspirée par la lecture même des ouvrages de M. Meyerson : « L’esprit humain est absurde par ce qu’il cherche ; il est grand par ce qu’il trouve. »

Mais comme en définitive l’univers ne peut pas se réduire à une vaste tautologie, nous devons forcément nous heurter çà et là dans notre description scientifique de la nature à des éléments « irrationnels » qui résistent à nos tentatives d’identification,