Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1811 - Tome 3.djvu/42

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quoiqu’on n’ait joui que peu de temps en France de ses talents. Il naquit à Genève, en 1729, d’un horloger nommé Rival, dont J.-J. Rousseau parle dans ses Confessions, comme d’un homme d’esprit et de goût. Rival était également lié avec Voltaire, et lui adressa une pièce de vers, intitulée les Torts, à laquelle le poète de Ferney fit une réponse qui est imprimée dans ses œuvres. Le jeune Rival, destiné à l’état d’horloger, partageait les goûts de son père pour la littérature, et annonçait un talent distingué pour la déclamation, lorqu’il fut appelé, vers l’année 1757, dans une ville de Normandie, pour des affaires de commerce. Sa passion pour le théâtre lui fit contracter des liaisons avec les comédiens qui y étaient établis ; l’un d’entr’eux s’étant trouvé indisposé quelques heures avant la représentation d’une tragédie, on engagea Rival à le remplacer ; il hésita quelques instants, mais on flatta sa vanité, et les applaudissements qu’il recueillit le déterminèrent à suivre cette carrière. Sa famille ayant vu avec peine son changement d’état, pour l’apaiser, il quitta son nom, et prit celui d’Aufresne, sous lequel il a toujours élé connu au théâtre. Après avoir joué dans les principales villes des provinces et dans les pays étrangers, et s’être appliqué à un système de déclamation qui lui était propre, il débuta, le 30 mai 1765, à la Comédie française, par le rôle d’Auguste dans Cinna, avec un brillant succès, et sut vaincre les préventions du public, accoutumé au débit emphatique de la plupart des acteurs de ce temps. Aufresne parlait presque la tragédie, et rappelait, dit-on, à beaucoup d’égards, par le naturel de son débit, la manière de Baron. Sans chercher à discuter ici une question souvent reproduite, on peut dire du moins qu’Aufresne faisait sortir de cette simplicité même des traits sublimes qui subjuguaient les spectateurs ; cependant ce naturel, qu’on ne pouvait censurer dans les rôles de pères de la haute comédie, qu’il jouait également avec beaucoup de succès, lui fit une foule d’ennemis secrets et intéressés de tous ses camarades. Il fallait qu’il changeât de manière, ou que la Comédie toute entière changeât la sienne : voilà ce qui s’opposa à ce qu’Aufresne fût admis comme sociétaire à la Comédie française. Satisfait du public, mais fatigué de la lutte inégale qu’il avait à soutenir contre ses camarades, il quitta la France. On lit, dans une lettre de Frédéric II, roi de Prusse, à Voltaire, ce passage : « Nous-avons eu, l’année passée, Aufresne, dont le jeu noble, simple et vrai, m’a fort contenté. Le Kain va venir ici cet été, et je lui verrai représenter vos tragédies. C’est une fête pour moi ; il faudra voir si les efforts de l’art surpassent dans Le Kain ce que la nature a produit dans l’autre. » Cette lettre est de l’année 1775. L’année suivante, Aufresne, après avoir fait un voyage en Italie, vint à Ferney, où il reçut de Voltaire les plus vifs applaudissements. « Vous me prêtez par votre jeu plus d’esprit que je n’en ai, » lui dit ce vieillard, qui flattait parce qu’il aimait à être flatté. Aufresne reçut en Russie un accueil très-distingué de Catherine II, et a continué de jouir de la faveur publique sous les successeurs de cette impératrice : quelques mois avant sa mort, arrivée vers l’année 1806, il a joué ce même rôle d’Auguste dans lequel il avait débuté, et, malgré son grand âge, il y a produit beaucoup d’effet. Cet acteur jouissait de l’estime générale dans le pays où il s’était fixé.P—x.