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d’Allemagne de le reconnaître, et les déliait de leur serment de fidélité. L’archevêque Gérard de Mayence, qui jouait alors en Allemagne le rôle du comte de Warwick, qui d’abord avait fait élire Adolphe de Nassau, au détriment d’Albert, et qui, ensuite, offensé par cet Adolphe, avait été le premier moteur de la révolution qui l’avait chassé du trône ; cet archevêque, disons-nous, mécontent d’Albert, à cause de quelques privilèges promis et bientôt révoquer, se ligua avec le pape. La présomption de cet arrogant prélat était telle, qu’il dit à Albert lui-même « Je n’ai besoin que de sonner du « cor pour faire sortir de terre un autre Empereur. » Albert combina ses ressources avec adresse ; il s’unit à Philippe le Bel, non moins menacé que lui par le fougueux Boniface, et conclut un mariage entre son fils Rodolphe et Blanche, sœur du roi de France ; il s’assura de la neutralité des électeurs de Saxe et de Brandebourg ; puis, ayant rassemblé des troupes, il fondit sur l’électorat de Mayence, en prit les principales forteresses, et contraignit l’archevêque, non-seulement à renoncer à l’alliance du pape, mais à prendre l’engagement de servir l’Empereur dans toutes les guerres qu’il entreprendrait pendant cinq ans. Des succès si rapides effrayèrent Boniface, déjà contrarié de ce que sa lutte contre l’Empereur, l’empêchait d’employer tous ses moyens contre le roi de France ; il entama avec Albert des négociations, dans lesquelles celui-ci montra de nouveau la duplicité de son caractère. Albert rompit ses traités avec Philippe, reconnut que l’empire d’Occident était une concession des papes aux Empereurs, et que le droit des électeurs à choisir un roi des Romains était dérivé du saint-siége ; il prêta serment de défendre les prérogatives de la cour de Rome contre quiconque les révoquerait en doute, et s’engagea même à faire la guerre aux ennemis du pape, dès que ce dernier l’exigerait. Boniface, en récompense, déclara Philippe excommunié, déchu de tout droit à la couronne, et donna le royaume de France à Albert. On ne peut savoir jusqu’à quel point celui-ci aurait profité, contre son ancien allié, de cette libéralité pontificale, si Philippe n’avait mis un terme a la violence de Boniface, en le faisant arrêter, et traiter dans sa prison avec tant de sévérité, que ce pape, bien que délivré par les Italiens, mourut des suites des violences exercées contre sa personne. Benoit XI, son successeur, ménagea, sinon une réconciliation, du moins une trêve entre les souverains d’Allemagne et de France, et les difficultés dans lesquelles le despotisme et l’avidité d’Albert le précipitèrent prolongèrent cette trêve indéfiniment. Il serait impossible, dans cet article, de rendre compte en détail de toutes les guerres injustes que l’Empereur entreprit. À peine sur le trône, il attaqua la Hollande, la Zélande et la Frise, les réclamant comme les fiefs de l’Empire, quoique, suivant l’ordre de succession établi dans les Pays-Bas, ces provinces dussent revenir à Jean d’Avesnes, comte de Hainaut. Albert conduisit des troupes contre ce prince ; mais celui-ci l’ayant surpris, tailla en pièces un détachement de son armée, frappa le reste de terreur, et força l’Empereur à se retirer jusqu’à Cologne, où il le contraignit à faire la paix. Albert se porta ensuite contre les Hongrois, pour les obliger à recevoir un roi de sa maison, et de la main du pape. Il pénétra en Bohême pour y attaquer Venceslas, qui était en même temps roi de Hongrie ; mais la terre qu’il envahissait sembla s’entrouvrir pour lui susciter des ennemis. Les ouvriers des mines, qui travaillaient depuis tant d’années dans ces souterrains sans s’informer de ce qui se passait au-dessus de leurs têtes, sortir en foule pour repousser l’agresseur. Albert s’enfuit en désordre. Bientôt après, la Bohême elle-même devint l’objet de ses vues ambitieuses. Il parvint à faire élire, par les états du royaume, son fils Rodolphe, et à lui faire épouser la veuve de Venceslas (voy. ce nom). Rodolphe était d’un naturel juste et doux ; mais Albert lui dictant des mesures tyranniques, les coutumes du pays furent violées, les églises dépouillées, le clergé proscrit. Les Bohèmes s’étant soulevés, Rodolphe entra en campagne pour les soumettre, et mourut de maladie devant une ville dont il formait le siége. Albert prétendit le remplacer par son second fils, Frédéric ; mais les états s’y refusèrent avec obstination, les partisans d’Albert furent massacrés, et l’assemblée choisit Henri de Carinthie, compétiteur de Frédéric, et beau-frère d’Albert. L’Empereur, indigné, attaqua son beau-frère, envahit la Bohême, menaça plusieurs forteresses, fut battu et se retira. Dans le même temps, il renouvela contre la Thuringe les entreprises d’Adolphe, oubliant que ces entreprises, par la haine qu’elles avaient excitée, lui avaient autrefois servi à renverser son prédécesseur. On peut voir, dans l’article qui concerne Adolphe, l’origine des troubles de la Thuringe. À la mort de ce prince, les héritiers légitimes étaient rentrés dans la possession d’une grande partie de leurs États ; mais les troupes impériales occupaient encore quelques districts, et, d’un autre côté, Philippe de Nassau, frère d’Adolphe, revendiquait le tout comme acheté par son frère. Albert annonça d’abord qu’il ne voulait qu’examiner et juger les prétentions des partis divers, et les fit citer à la diète de Fulde ; mais, ne leur ayant pas laissé le temps de comparaître, il les proclama rebelles par contumace, les mit au ban de l’Empire, déclara que la propriété de la Thuringe lui était dévolue, et y envoya une armée nombreuse. L’Allemagne tout entière fut saisie d’horreur contre un prince qui dépouillait ceux dont il s’était porté le juge, l’un des fils du margrave Albert, Frédéric, reçut des secours de toutes parts, et l’armée impériale fut attaquée, vaincue dans deux combats réguliers, le 31 mai 1307 et le 15 janvier 1308, mise en déroute, et chassée. L’Empereur se préparait à marcher en personne pour laver cette honte, lorsque, à une autre extrémité de l’Empire, de graves événements vinrent occuper son activité. Depuis l’avènement de Rodolphe de Habsbourg, la Suisse, divisée en un grand nombre de petites souverainetés, de villes indépendantes, de domaines ecclésiastiques, et de cantons qui se gouvernaient démocratiquement, avait été menacée de perdre ses