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soufflet à Hipponicus, et il le lui donna effectivement. Cette action ayant fait beaucoup de bruit dans la ville, Alcibiade alla trouver celui qu’il avait offensé ; et s’étant dépouillé devant lui, il lui dit de se venger en le frappant de verges ; Hipponicus, satisfait de son repentir, lui pardonna, et lui donna même, par la suite, sa fille Hipparète en mariage, avec dix talents (54,000 liv.) de dot ; mais cette union ne le rendit pas plus sage, et sa femme, qui avait un très-vif amour pour lui, irritée de ses fréquentes infidélités, le quitta, et se retira chez Callias, son frère. Voulant obtenir le divorce, elle alla elle-même, suivant la loi, déposer chez l’éphore l’acte par lequel elle le demandait ; Alcibiade, en étant instruit, s’y rendit, enleva son épouse, et l’emporta à travers la place publique, sans que personne s’y opposât. Cette violence ne déplut pas à Hipparète, et elle ne songea plus à se séparer de lui. Les gens les plus riches de la Grèce croyaient déployer beaucoup de magnificence lorsqu’ils entretenaient un char pour les jeux olympiques ; Alcibiade en envoya sept à la fois, et remporta en même temps les trois premiers prix. Euripide célébra cette victoire par un chant, dont il ne nous est parvenu que quelques fragments. Il parait qu’Alcibiade remporta aussi des prix aux jeux pythiques et aux jeux néméens ; car Athénée raconte, qu’à son retour d’Olympie, il dédia à Athènes deux tableaux qu’il avait fait faite par Aglaophon (voy. ce nom). Dans l’un, il était couronné par l’Olympiade et la Pythiade, et, dans l’autre, il était assis sur les genoux de la déesse Nemée, et paraissait beaucoup plus beau que les trois figures de femmes qui représentaient les déesses des jeux. Ce mépris de toutes les convenances ne pouvait manquer de lui faire beaucoup d’ennemis, dans une ville où le peuple était toujours inquiet pour la conservation de sa liberté ; un certain Hyperbolus, de la plus basse classe du peuple, et qui n’était célèbre que par son impudence, proposa l’ostracisme, moyen qu’employaient les Athéniens pour se débarrasser de ceux qui leur paraissaient trop puissants ; les trois hommes contre qui cette mesure parut plus particulièrement dirigée étaient Alcibiade, Nicias, et Phærax, orateur célèbre : la crainte les décida à se réunir, et ils prirent si bien leurs mesures, qu’ils firent tomber l’ostracisme sur celui-là même qui l’avait propose, et qui, ne jouissant d’aucune considération, ni par ses talents, ni par sa naissance, ni par ses richesses, ne se doutait pas qu’on voulait lui faire un pareil honneur. Le peuple fut si furieux de voir l’ostracisme ainsi profané qu’il l’abolit, et on n’en fit plus usage par la suite. Peu de temps après, les Athéniens, sur la proposition d’Alcibiade, résolurent de faire une expédition en Sicile, et lui en donnèrent le commandement, conjointement avec Nicias et Lamachus. Tandis qu’on faisait les préparatifs nécessaires, il arriva qu’une nuit tous les Hermès furent mutilés, excepté celui qui était devant la porte d’Andocide. Le peugle crut que ce sacrilège tenait à quelque conspiration pour attenter à sa liberté ; il ordonna les recherches les plus sévères, et un certain Androclès produisit quelques témoin qui présentèrent Alcibiade comme responsable de cette mutilation, et l’accusèrent en même temps d’avoir profané les mystères d’Éleusis, en les célébrant d’une manière dérisoire dans une maison particulière. Alcibiade voulut se justifier sur-le-champ ; mais ses ennemis, craignant d’avoir le dessous, parce qu’il avait pour partisans tous ceux qui devaient s’embarquer avec lui, firent remettre le jugement de cette affaire à son retour. Alcibiade ayant ainsi été obligé de s’embarquer, quoi qu’il eût pu dire pour se faire juger avant son départ, arriva en Sicile, où l’armée athénienne eut d’abord les plus grands succès ; mais à peine Alcibiade était-il parti d’Athènes, que ses ennemis étaient parvenus à animer tellement le peuple contre lui, qu’on envoya le vaisseau, salaminien pour le ramener, afin de le juger. Il ne fit point de résistance, et s’embarqua ; mais, arrivé à Thurium, il descendit à terre et se cacha. Quelqu’un lui ayant dit : « Quoi, Alcibiade, tu ne t’en « rapportes pas à ta patrie ? — Je ne m’en rapporterais « pas même à ma mère, répondit-il, lorsqu’il s’agit « de la vie, de crainte qu’elle ne mit par erreur un « caillou noir au lieu d’un blanc. » Le vaisseau étant revenu sans lui, on le condamna à mort. À cette nouvelle, il dit : « Je prouverai bien aux Athéniens « que je suis encore vivant. » Il se retira d’abord à Argos, ensuite à Sparte. Il sut si bien s’accommoder aux mœurs des Spartiates, quelque éloignés quelles fussent du genre de vie auquel il s’était livré jusqu’alors, qu’il devint l’idole du peuple, qui, le voyant rasé jusqu’à la peau, se lavant dans l’eau froide, · vivant de gros pain et de brouet noir, ne pouvait concevoir qu’il eût jamais eu de cuisinier, qu’il eût fait usage de parfums, ni qu’il eut porté des vêtements de laine de Milet. Timma, la, femme d’Agis, l’un des rois de Sparte, conçut pour lui une passion à laquelle il céda, non qu’il la partageait, disait-il, mais pour qu’il y eût un roi de sa race à Lacédémone. Il parait qu’en effet on le crut père de Léotychide, puisque ce prince fut privé du trône pour faire place à Agésilas. Il engagea les Lacédémoniens à envoyer Gylippe aux Syracusains, à contracter une alliance avec le roi de Perse, et à fortifier Décélie, dans l’Attique ; et, après la malheureuse catastrophe par laquelle se termina l’expédition des athéniens en Sicile, les habitants de Chios, de Lesbos et de Cyzique ayant envoyé des députés à Sparte demander des secours pour secouer le joug des Athéniens, il décida les Spartiates à en envoyer d’abord à ceux de Chios ; étant parti avec cette expédition, il fit, à son arrivée dans l’Asie Mineure, révolter toute l’Ionie contre les Athéniens, et leur fit beaucoup de mal. Comme on lui attribuait tous les succès, Agis et les principaux Spartiates en devinrent jaloux ; et écrivirent à leurs généraux en Asie de s’en défaire, en le faisant assassiner ; mais il devina leurs projets, et se retira auprès de Tissapherne, lim des satrapes du roi de Perse, qui avait l’ordre d’agir de concert avec les Lacédémoniens. Il changea alors de manières, se plongea dans le luxe asiatique, et rendit si agréable à ce satrape, qu’il ne pouvait