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ALE

la mère, la femme et les enfants de Darius, qu’il traita avec une extrême bonté. Il ne poursuivit point ce prince qui s’était enfui vers l’Euphrate ; et, voulant lui ôter toute communication avec la mer (34)[1], il entra dans la Celé-Syrie et dans la Phénicie, où il reçut des lettres du roi de Perse, qui lui demandait sa famille prisonnière, et lui témoignait le désir de faire la paix. Alexandre répondit à Darius que, s’il voulait venir le trouver, non-seulement il lui rendrait sans rançon sa mère, sa femme et ses enfants, mais encore son royaume : une pareille réponse ne pouvait point avoir de résultat (35)[2]. La victoire d’Issus ouvrait tous les passages aux Macédoniens ; Alexandre envoya à Damas un détachement qui se saisit du trésor royal de Perse (36)[3], et il marcha en personne pour s’assurer des villes maritimes le long de la Méditerranée. Toutes celles de la Phénicie se rendirent, à l’exception de Tyr, qui, fière de sa position au milieu de la mer, forma la résolution de se défendre. Alexandre en lit le siége ; et, surmontant des difficultés incroyables, il réunit au continent, par une chaussée, l’île dans laquelle cette ville était située. Plusieurs fois les assiégés et la mer elle-même détruisirent ses travaux ; il triompha de tous les obstacles, et la ville fut prise, après sept mois d’efforts. Irrité de sa résistance, Alexandre la détruisit entièrement, et vendit comme esclaves tous les habitants qui n’avaient pu échapper par la fuite. Quelques historiens prétendent qu’il en fit périr 3,000 sur la croix ; mais Arricn et Plutarque n’en parlent pas (37)[4]. L’année macédonienne se

centre s’ébranla en même temps ; seulement il ne s’ébranla pas avec la même légèreté, et tandis que la droite du centre marchait de front avec l’extrême droite menée par Alexandre même, le reste du centre marchait et passait le fleuve moins vite. De là, après le passage du fleuve, un flottement sur la ligue de la phalange : les Grecs de Darius en profitèrent, et firent du mal au centre ennemi jusqu’à ce qu’Alexandre, vainqueur à droite, tombât sur eux. — La poursuite de Darius évidemment n’eut lieu qu’ensuite : 1o c’eût été une faille quand les centres étaient encore aux prises, et 2o Darius était au centre (non à la droite), et quoi qu’on en dise, ne prit la fuite que quand son centre plia. — Nous négligeons beaucoup de détails. Val. P.

(33) Dans le camp seul on trouva 5,000 talents (environ 17 millions), et bien des fois autant à Damas, où riaient la maison du roi, ses bagages, etc., etc. Val. P.

(34) Toujours la même méthode, avoir toutes les provinces maritimes d’abord : la Syrie même ne lui suffira point, il retournera en Égypte encore avant de songer à passer l’Euphrate. Val. P.

(35) Cette réponse (précédée d’une récapitulation de griefs, véritable manifeste d’Alexandre à Darius) est beaucoup moins insignifiante qu’on ne le dit ici ; elle se résume par ces mots : tu reconnaissez-moi roi des rois ou grand roi (c’est-à-dire, cédez-moi votre titre officiel, unique) ; 2o vous pourrez conserver une partie de vos États, comme roi vassal ou de deuxième ordre. Darius serait tombé dans la catégorie des rois d’Arménie, de Cappadoce, etc., avec beaucoup plus de territoire sans doute, mais sans souveraineté suprême et vraie. — Au reste, Darius envoya une seconde députation un peu plus tard, pendant le siége de Tyr (et celle-ci était chargée déjà de tres-hautes propositions). Val. P.

(36) C’est-à-dire du trésor qui suivait Darius, et que, du reste, nous pensons avoir été considérable (voy. note 33) : il y a plus d’une raison à en donner ; mais on ne doit point oublier que les grands trésors centraux étaient dans les quatre capitales (Babylone, Suse, Ecbatane, Pcrsépolis), et notamment dans les deux dernières. Val. P.

(37) Tyr ne fut pas détruite, ou elle se releva bien vite, car, quelques années après, on la retrouve florissante. Les femmes, les enfants, les vieillards, la plupart des objets précieux avaient été envoyés à Carthage ou bien à Sidon. Toutefois ce siége fui un coup mortel pour Tyr, moins à cause de la prise et du massacre, qu’à

dirigea ensuite sur la Palestine, dont toutes les villes se rendirent, à l’exception de Gaza, qui soutint un siége, où le conquérant reçut une blessure grave. Les habitants furent traités à peu près comme ceux de Tyr, et le commandant Bétis, attaché par les talons au char du vainqueur, fut traîné sous les murs de la ville, comme autrefois Hector sous les remparts de Troie (38)[5]. Suivant l’historien Josèphe, Alexandre alla ensuite à Jérusalem, et fit offrir des sacrifices dans le temple où le grand prêtre Jaddus, devant lequel il se prosterna, lui montra la prophétie de Daniel, qui lui réservait la conquête de la Perse ; mais ce voyage n’est attesté que par l’historien juif, toujours prêt à saisir ce qui peut donner quelque éclat à sa nation (39)[6]. L’Égypte, lasse du joug de Darius, reçut Alexandre comme un libérateur (40)[7]. Voulant assurer sa domination, il sut adroitement rétablir les anciennes coutumes, et les cérémonies religieuses abolies par les Perses ; et, afin d’y laisser un monument durable (41)[8], il choisit

cause de la chaussée. Le port dut être et resta très-endommagé ; et, dans la suite, si Tyr fleurit, c’est plutôt comme industrielle que comme commerçante. Toutefois il ne faut pas oublier que la fondation d’Alexandrie, et l’essor du commerce en Égypte sons les Ptolémées, furent pour beaucoup dans ce déclin. — Toute cette soumission de la Syrie occupe la fin de 353 et partie de 332. Val. P.

(38) Ce fait n’a d’autre garant que Quinte-Curce ; et, quoique peut-être on ait tort de le rejeter comme impossible ci tout à fait hors du caractère d’Alexandre (en quelque instant que ce soit !), il est évident qu’on ne peut l’adopter sur la foi d’un tel auteur. — Gaza ne fut point détruite. Strabon ne le dit que par erreur, en confondant ce qu’elle souffrit d’Alexandre le Grand, avec sa destruction par Alexandre Zebiua, en 96 avant J.-C. — Enfin, Gaza était une ville des Philistins, non de Palestine, à moins qu’on n’entende ici Palestine en un sens plus large que pays des Juifs. Val. P.

(39) Il l’est aussi par l’auteur de la Chronique samaritaine ; Bayle et Ste-Croix l’adoptent ; beaucoup d’autres le rejettent. Nous sommes de l’avis de ces derniers ; mais il nous semble qu’il ne suffit point ici de nier, et voici ce que nous croyons voir sortir, avec beaucoup de probabilité, tant des témoignages modifiés que des circonstances : 1o Alexandre, qui, tout en poussant le siége de Tyr, travaillait à la soumission de la région syrienne entière, envoya sommer Samarie et Jérusalem de le reconnaître, de lui fournir des secours contre Tyr. 2o Il lui répondu par les habitants que des traités les liaient, soit au roi de Perse, soit à la ville de Tyr, et qu’ils ne pouvaient faire cause commune avec lui ; mais celle réponse impliquait possibilité de mesures intermédiaires, c’est-à-dire de neutralité et de soumission provisoire. 3o Alexandre, en effet, voulut au moins ces deux articles : Il détacha un corps qui alla jusqu’à Samarie, dont Andromaque fut nommé gouverneur, et peut-être un peu plus loin (sur les frontières de la Judée proprement dite). 4o Le grand prêtre Jeddoa ou Jaddus se rendit au quartier général d’Alexandre, lui récita les prophéties qui annonçaient la chute du tronc de Perse, ne manquant pas de les lui appliquer, et obtint pour Jérusalem des conditions meilleures que celles de Samarie (autonomie à peu près complète). 6o Alexandre qui partout et toujours montrait la plus grande tolérance et respectait les lois, les usages, les religions des vaincus, Alexandre qui avait tenté de défaire le nœud gordien, par respect pour un vieil oracle, et sacrifié dans Tyr à Melkart (l’Hercule syrien), affecta aussi un grand respect pour Jehova et les prophéties. De là, son prétendu sacrifice sur le Garizim, sa prétendue génuflexion devant Jaddus, etc. Val. P.

(40) L’Égypte avait toujours eu la domination perse en horreur, surtout à cause de la brutale intolérance dont Cambyse avait donné le modèle. On va voir que, fidèle à sa méthode (voy. note 59), Alexandre suivit la marche contraire. Son voyage à l’oasis d’Amoun (Ammon, suivant les Grecs) ne fut qu’un hommage politique ainsi rendu aux superstitions égyptiennes. (voy, note 42.) Val. P.

(41) Ce fut encore plus pour créer un nouveau centre commercial et pour entretenir les communications directes avec la Grèce. Les Ptolémées achevèrent la réalisation des vues d’Alexandre. — Alexandrie, avant ce temps, n’était qu’un bourg dit Rakoli. Val. P


  1. Toujours la même méthode, avoir toutes les provinces maritimes d’abord : la Syrie même ne lui suffira point, il retournera en Égypte encore avant de songer à passer l’Euphrate. Val. P.
  2. Cette réponse (précédée d’une récapitulation de griefs, véritable manifeste d’Alexandre à Darius) est beaucoup moins insignifiante qu’on ne le dit ici ; elle se résume par ces mots : tu reconnaissez-moi roi des rois ou grand roi (c’est-à-dire, cédez-moi votre titre officiel, unique) ; 2o vous pourrez conserver une partie de vos États, comme roi vassal ou de deuxième ordre. Darius serait tombé dans la catégorie des rois d’Arménie, de Cappadoce, etc., avec beaucoup plus de territoire sans doute, mais sans souveraineté suprême et vraie. — Au reste, Darius envoya une seconde députation un peu plus tard, pendant le siége de Tyr (et celle-ci était chargée déjà de tres-hautes propositions). Val. P.
  3. C’est-à-dire du trésor qui suivait Darius, et que, du reste, nous pensons avoir été considérable (voy. note 33) : il y a plus d’une raison à en donner ; mais on ne doit point oublier que les grands trésors centraux étaient dans les quatre capitales (Babylone, Suse, Ecbatane, Persépolis), et notamment dans les deux dernières. Val. P.
  4. Tyr ne fut pas détruite, ou elle se releva bien vite, car, quelques années après, on la retrouve florissante. Les femmes, les enfants, les vieillards, la plupart des objets précieux avaient été envoyés à Carthage ou bien à Sidon. Toutefois ce siége fut un coup mortel pour Tyr, moins à cause de la prise et du massacre, qu’à cause de la chaussée. Le port dut être et resta très-endommagé ; et, dans la suite, si Tyr fleurit, c’est plutôt comme industrielle que comme commerçante. Toutefois il ne faut pas oublier que la fondation d’Alexandrie, et l’essor du commerce en Égypte sous les Ptolémées, furent pour beaucoup dans ce déclin. — Toute cette soumission de la Syrie occupe la fin de 353 et partie de 332. Val. P.
  5. Ce fait n’a d’autre garant que Quinte-Curce ; et, quoique peut-être on ait tort de le rejeter comme impossible et tout à fait hors du caractère d’Alexandre (en quelque instant que ce soit !), il est évident qu’on ne peut l’adopter sur la foi d’un tel auteur. — Gaza ne fut point détruite. Strabon ne le dit que par erreur, en confondant ce qu’elle souffrit d’Alexandre le Grand, avec sa destruction par Alexandre Zebiua, en 96 avant J.-C. — Enfin, Gaza était une ville des Philistins, non de Palestine, à moins qu’on n’entende ici Palestine en un sens plus large que pays des Juifs. Val. P.
  6. Il l’est aussi par l’auteur de la Chronique samaritaine ; Bayle et Ste-Croix l’adoptent ; beaucoup d’autres le rejettent. Nous sommes de l’avis de ces derniers ; mais il nous semble qu’il ne suffit point ici de nier, et voici ce que nous croyons voir sortir, avec beaucoup de probabilité, tant des témoignages modifiés que des circonstances : 1o Alexandre, qui, tout en poussant le siége de Tyr, travaillait à la soumission de la région syrienne entière, envoya sommer Samarie et Jérusalem de le reconnaître, de lui fournir des secours contre Tyr. 2o Il lui répondu par les habitants que des traités les liaient, soit au roi de Perse, soit à la ville de Tyr, et qu’ils ne pouvaient faire cause commune avec lui ; mais celle réponse impliquait possibilité de mesures intermédiaires, c’est-à-dire de neutralité et de soumission provisoire. 3o Alexandre, en effet, voulut au moins ces deux articles : Il détacha un corps qui alla jusqu’à Samarie, dont Andromaque fut nommé gouverneur, et peut-être un peu plus loin (sur les frontières de la Judée proprement dite). 4o Le grand prêtre Jeddoa ou Jaddus se rendit au quartier général d’Alexandre, lui récita les prophéties qui annonçaient la chute du tronc de Perse, ne manquant pas de les lui appliquer, et obtint pour Jérusalem des conditions meilleures que celles de Samarie (autonomie à peu près complète). 6o Alexandre qui partout et toujours montrait la plus grande tolérance et respectait les lois, les usages, les religions des vaincus, Alexandre qui avait tenté de défaire le nœud gordien, par respect pour un vieil oracle, et sacrifié dans Tyr à Melkart (l’Hercule syrien), affecta aussi un grand respect pour Jehova et les prophéties. De là, son prétendu sacrifice sur le Garizim, sa prétendue génuflexion devant Jaddus, etc. Val. P.
  7. L’Égypte avait toujours eu la domination perse en horreur, surtout à cause de la brutale intolérance dont Cambyse avait donné le modèle. On va voir que, fidèle à sa méthode (voy. note 59), Alexandre suivit la marche contraire. Son voyage à l’oasis d’Amoun (Ammon, suivant les Grecs) ne fut qu’un hommage politique ainsi rendu aux superstitions égyptiennes. (voy. note 42.) Val. P.
  8. Ce fut encore plus pour créer un nouveau centre commercial et pour entretenir les communications directes avec la Grèce. Les Ptolémées achevèrent la réalisation des vues d’Alexandre. — Alexandrie, avant ce temps, n’était qu’un bourg dit Rakoli. Val. P