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ABB

se rendit ensuite dans le Mazenderan, son séjour favori, à cause du gibier, très-abondant dans cette province. Son premier soin fut d’assurer la couronne a Aboul-Nazr-Sam-Myrza, fils du prince dont Abbas avait ordonne la mort, et qu’il ne cessait de regretter. Mais il n’eut pas la satisfaction de consommer lui-même l’acte expiatoire qu’il méditait. Tout à coup il ressentit les atteintes d’une maladie qui le conduisit au tombeau, la nuit du jeudi 24 de djomady 1er, l’an 1057 de l’hégire (du 27 au 28 janvier 1628). Il était, suivant le voyageur Herbert, âge de 70 ans et en avait régné 41. Sa taille était petite, ses yeux animés, mais petits et sans aucuns cils, le nez gros et aquilin, le menton pointu et épilé, à le manière des Persans. Il portait des moustaches excessivement longues, épaisses et frisées. Si les grands talents militaires et politiques, si les plus brillants succès justifiaient de grands forfaits, ou pouvaient seulement atténuer l’horreur qu’ils inspirent, la postérité aurait peut-être approuvé les éloges et sanctionne le surnom de Grand, que certains voyageurs et ambassadeurs européens, bien accueillis par Abbas, lui ont décerné ; mais elle ne lui pardonnera pas ses innombrables atrocités. Tel fut au reste le caractère commun à tous les princes de la dynastie des Sophis ; mais les grandes vues politiques d’Abbas, ses talents pour l’administration et pour la guerre, ses profondes conceptions n’appartiennent qu’à lui seul. Un corps de milice qui avait puissamment contribué à l’élévation des Sophie (les Courichy) commençait à abuser de son influence, et inspirait de justes inquiétudes. Abbas se délivra des chefs et des plus mutins, réduisit ce corps à 15 ou 20,000 hommes, et leur opposa une milice nouvellement formée de Turcomans. Sous ce règne les limites de la Perse furent prodigieusement reculées. Ispahan, devenue capitale de l’empire, acquit une population de plus de 500,000 âmes ; on vit s’élever, non-seulement dans cette ville, mais dans les principales cités du royaume de magnifiques monuments consacrés au culte et a l’utilité publique, tels que des mosquées, des caravanserai ; des collèges, des hôpitaux. Abbas essaya même de percer une montagne, pour amener de l’eau à Ispahan, et augmenter le Zendéh-Routd. Il construisit de nouvelles routes, et entre autres la fameuse chaussée du Mazenderan, longue de 100 lieues, sur une largeur de 17 toises, et destinée aux communications avec la mer Caspienne. Le grand bazar, qui fait encore aujourd’hui l’étonnement des voyageurs, a conservé le nom d’Abbas le Grand. Les grands imitaient l’exemple du souverain, et l’on voit encore à Ispahan un beau pont qui porte le nom d’Allah-Veyrdy-Kan généralissime des armées d’Abbas. Parmi les histoires les plus exactes et les plus circonstanciées d’Abbas, nous citerons la 2° et la 3° partie du Tarykk-A’alem-A’raï-A’bbacy, dont la première partie renferme l’histoire des sophis, prédécesseurs d’Abbas. Cet ouvrage finit avec le règne de ce monarque. Nous en possédons à la bibliothèque royale les 1re et 5e parties. La 2e et la 3e se trouvent à la bibliothèque de l’Arsenal. M. Silvestre de Sacy possède aussi une excellente copie de ces deux parties. Il a eu la complaisance de me la communiquer, de manière que j’ai pu conférer ces différents manuscrits, pour composer l’article qu’on vient de lire. L-s.


ABBAS II, fils unique de Ssefy, lui succéda au mois de mai 1642, n’était âgé que de treize ans, et fit son entrée dans Ispahan au commencement de l’année suivante. Les circonstances de cette cérémonie ont été soigneusement décrites par Tavernier. Le père d’Abbas avait ordonne qu’on lui brûlât les yeux avec un fer rouge ; mais l’eunuque chargé d’exécuter cet ordre eut le courage de ne pas obéir ; Abbas contrefit l’aveugle jusqu’au moment ou Sséfy, sentant sa fin approcher, se repenti de cette cruauté. Alors l’eunuque l’assura qu’il avait un secret infaillible pour rendre la vue, et il feignit d’en faire l’épreuve sur le fils du monarque mourant. L’événement le plus remarquable du règne d’Abbas fut la conquête du Candahar. Cette province, enlevé d’abord à l’empire mogol par Allah-Veyrdy-Kan, généralissime d’Abbas Ier, avait été reconquise par Abkar, sous le règne du Ssefy. Abbas II la reprit et il dut cette importante conquête plutôt à son adroite politique qu’à la force de ses armes. Son règne, qui dura vingt-quatre ans fut très-paisible. Ce monarque aimait les arts et les plaisirs. Il avait appris à dessiner de deux peintres hollandais, et il donna à Chardin et à Tavernier les dessins de différents bijoux, tracés de sa propre main, qu’il les chargea de faire exécuter en France. Il avait une assez belle écriture, et tournait avec beaucoup d’adresse. Heureux ce prince et ses sujets, si des occupations aussi innocentes eussent rempli tous ses moments, et ne lui en eussent laissé aucun pour se livrer à la débauche ! Il aimait le vin avec passion, et au milieu de ses orgies, il ordonnait ou faisait lui-même les exécutions les plus sanglantes. Un jour il fait couper la langues à son qalyoundjy ou porte-pipe, qui lui avait fait une réponse peu respectueuse. Un autre jour il commande que l’on attache dans une cheminée et qu’on enfume la plus belle femme de son harem. qui avait essayé de se soustraire à ses désirs. En sortant d’une orgie, privé de force et de raison, il voulait encore boire avec ses femmes : elles profitèrent de l’état où il se trouvait pour disparaître successivement. Après quelques instants de repos, il s’aperçut qu’on l’avait laissé seul. Un eunuque se rend aussitôt au harem, amène toutes ces infortunées. Abbas ordonne qu’on allume un bûcher, et les fait toutes brûler vives en sa présence. Les voyageurs qui ont rapporté ces anecdotes et plusieurs autres non moins tragiques louent beaucoup son affabilité envers les étrangers, et s’efforcent même de diminuer l’horreur qu’un pareil il monstre doit inspirer. À la vérité Tavernier fut admis, en 1665, à s’enivrer avec lui ; Chardin eut le même honneur, et il reçut de sa propre main le brevet de bijoutier du roi. Le récit de sa mort est une espèce de dédommagement que nous devons à nos lecteurs. Parmi les danseuses de la cour, il en remarqua une singulièrement belle ; vainement elle le prévint de la maladie incurable dont elle était attaquée, Abbas ne voulut point l’écouter ; la