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Français, voilà mon triomphe. » à ceux qui lui demandaient les Bourbons : « Déclarez-vous d’une manière positive, légale. » Après la revue, il se retira dans l’hôtel de Talleyrand, qu’il avait choisi pour son logement, ne voulant point habiter le château des Tuileries. Un conseil fut sur-le-champ convoqué ; les deux souverains présents à Paris, le prince de Schwarzenberg représentant l’empereur d’Autriche, MM. de Nésselrode, Pozzo di Borgo, de Talleyrand, le duc de Dalberg, le baron Louis et quelques autres personnages, y assistèrent, Alexandre ouvrit la délibération sur les trois partis à l’un desquels on devait s’arrêter : 1o faire la paix avec Napoléon, en prenant contre lui toutes les sûretés ; 2o placer la couronne sur la tête du fils de Napoléon, en conférant la régence à Marie-Louise ; 3o rappeler les princes de la maison de Bourbon. Talleyrand ayant fait sentir les dangers des deux premières propositions, et présenté la dernière comme seule admissible, les souverains se réuniront à son avis. Alexandre demanda par quels moyens on parviendrait à rétablir le trône des Bourbons, et sembla craindre que ce projet ne soulevait bien des résistances : Talleyrand répondit qu’on pouvait compter sur les autorités et sur le sénat lui-même. Ce qu’il faut remarquer, c’est qu’avant ce conseil, l’empereur de Russie avait déjà signé la déclaration suivante, qui, le même jour affichée dans Paris, détermina le mouvement en faveur de Louis XVIII[1] : « Les souverains alliés ne traiteront plus avec Napoléon Bonaparte, ni avec aucun membre de sa famille. Ils respectent l’intégrité de l’ancienne France, telle qu’elle existait sous ses rois légitimes. Ils peuvent même faire plus, parce qu’ils proposent toujours le principe que, pour le bonheur de l’Europe, il faut que la France soit grande et forte. » On sait quel effet une déclaration aussi importante et aussi positive produisit sur l’esprit des Parisiens. Le lendemain Alexandre fit ordonner au préfet de police de mettre en liberté toutes les personnes détenues pour des causes politiques ; et le 2 avril, lorsque les députés du sénat lui apportèrent l’acte de déchéance de Napoléon, il leur dit : « Un homme qui se disait mon allié est arrivé dans mes États en injuste agresseur ; c’est à lui que j’ai fait la guerre, et non à la France. Je suis l’ami du peuple français ; ce que vous venez de faire redouble encore ce sentiment. Il est juste, il est sage de donner à la France des institutions libérales qui soient en rapport avec les lumières actuelles ; mes alliés et moi nous ne venons que pour protéger la liberté de vos décisions. » Il s’arrêta quelques instants, et reprit avec émotion : « Pour preuve de cette alliance durable que je veux contracter avec votre nation, je lui rends tous ses prisonniers qui sont en Russie. Le gouvernement provisoire me l’avait déjà demandé : je l’accorde au sénat, d’après les résolutions qu’il a prises aujourd’hui. » Cette disposition fut encore étendue à 1,500 prisonniers que l’armée russe avait faits dans les environs de Paris. Cependant, quelques jours plus tard, les envoyés de Napoléon, les maréchaux Ney, Macdonald et le duc de Vicence, s’étant présentes pour plaider. non la cause de leur maître, mais celle de son fils et de l’armée, Alexandre parut ébranlé, et il leur dit qu’il consulterait ses allies. Il convoqua en effet la nuit suivante (du 5 au 6 avril) un conseil où il appela les membres du gouvernement provisoire, et où il remit en question ce qui avait été déjà décidé. (Voy. Dessole.) La majorité de ce conseil persista dans la première détermination, et l’empereur déclara le lendemain aux envoyés de Napoléon qu’il ne restait à leur maître d’autre parti que d’abdiquer, assurant toutefois qu’on lui accorderait une principauté indépendante, où il lui serait permis d’emmener une partie de sa garde. Alexandre avait enfin complètement arrêté ses idées pour le rétablissement de la monarchie des Bourbons ; mais persistant dans ses opinions de libéralisme et de révolution, il voulait que ce fût selon ces principes et avec le parti révolutionnaire que ces princes gouvernassent ; et pour leur faire connaître ses intentions à cet égard, il envoya au-devant de Louis XVIII jusqu’en Angleterre le général Pozzo di Borgo. qui s’acquitta de cette mission avec quelque répugnance, tandis qu’à Paris son maître semblait, par ses provenances et sa courtoisie envers le parti de Bonaparte et celui de la révolution, vouloir faire oublier ses torts comme restaurateur de l’ancienne dynastie. Ce prince était alors dans cette capitale l’objet de toutes les pensées et de toutes les conversations. Ce fut, selon lord Londonderry, l’époque la plus belle de sa puissance et de sa gloire ; mais, selon le même auteur, ce fut aussi l’époque où se manifestèrent avec le plus d’évidence ses projets de domination et de conquêtes. lorsque Napoléon fut renverse, lorsque le colosse fut brisé et qu’il s’agit d’en recueillir les débris, chacun voulut avoir la plus forte part. Quant à la France, rien ne convenait mieux sans doute a l’empereur Alexandre que de la voir tomber en des mains faibles et incapables de grandes entreprises. Sous ce rapport, on ne peut nier qu’un vieillard infirme ne lui convint à merveille, et il est probable que cette considération tint pour beaucoup dans ce qu’il fit pour Louis XVIII. Quant aux autres contrées qui, sans faire partie de l’empire de Napoléon, obéissaient à ses lois, la question fut plus difficile. Alexandre, toujours ami du roi de Prusse, se montra très-disposé à favoriser

  1. Il est très-sûr qu’avant le conseil Alexandre avait pris sa résolution en faveur des Bourbons. On se rappelle que dans sa proclamation du 10 février 1813, il avait dit, en parlant des Français : Si cette nation dégénéré … venait à jeter des yeux baignés de larmes sur le bonheur dont elle a joui sous ses rois, nous lui tendrions une main secourable. On sait aussi que la proclamation du généralissime Schwarzenberg, qui n’avait certainement pas été faite sans l’adhésion de l’empereur de Russie. (voy. Schwarzenberg), et qui avait paru avant l’entrée des alliés dans Paris, indiquait positivement au Français, comme un remède à leurs maux, le rétablissement des Bourbons. Enfin nous avons la certitude que, deux heures avant l’entrée d’Alexandre à Paris, sa déclaration était dans les mains de Talleyrand, qui la fit aussitôt imprimer, et qu’elle le fut avant la tenue du conseil dont a parlé l’abbé de Pradt, qui dit y avoir assisté. L’empereur Alexandre en lut une dernière épreuve peu de moment après son arrivée chez Talleyrand ; et ce fut lui qui de sa main y ajouta la dernière phrase tout entière à l’avantage de la France, que nous avons imprimée en lettres italiques et qui n’existait pas dans le manuscrit primitif.