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retentissait journellement de quelque tirade d’Horace, de Virgile, de Lucrèce, de Lucain surtout, entre les dissections minutieuses d’une corolle ou d’un fruit. La quantité des mots latins devint si familière à Ampère, que, quarante ans après, il composa cent cinquante-huit vers techniques, en chaise de poste, pendant une tournée d’inspection universitaire et sans jamais recourir au Gradus. Les connaissances botaniques qu’il puisa dans ces études solitaires n’avaient été ni moins profondes, ni moins durables. — Peu de temps avant la catastrophe de Lyon, Ampère, âgé alors de dix-huit ans, faisant un examen attentif de sa vie passée, n’y voyait encore, disait-il, que trois points culminants, que trois circonstances importantes et décisives : c’étaient sa première communion, la lecture de l’Éloge de Descartes par Thomas ; enfin, chose curieuse, la prise de la Bastille ! De la première communion datait chez lui le développement réfléchi du sentiment religieux ; de la lecture de l’Éloge de Descartes, le goût, l’enthousiasme dont il fut toujours animé pour les études mathématiques, physiques et philosophiques ; de la prise de la Bastille, l’épanouissement de son âme au doux nom de liberté, de dignité humaine, de philanthropie. La mort terrible qui lui enleva un père vénéré put bien un moment opprimer toutes ses facultés, mais elle ne changea rien à ses convictions. Au moment du réveil, il se retrouva dévoué d’esprit et de cœur à la cause de la civilisation. Ampére rejeta bien loin la pensée que les fureurs de quelques énergumènes, que les crimes dont il avait si cruellement souffert, dussent arrêter la marche progressive du monde. — L’écolier de Poleymieux mit en action, des sa plus tendre jeunesse, la féconde intelligence dont la nature l’avait doté. Il n’en fut pu de même de ses sens. Ces puissants instruments de plaisir et d’étude, Ampère les connut beaucoup plus tard, du moins dans toute leur force, et par une sorte de révélation subite. Il était très-myope. Les objets, même peu éloignés, ne s’offraient à ses yeux que par masses à moitié confondues et sans contours définis. Il ne se faisait aucune idée dut plaisir qu’à diverses époques des centaines de personnes avaient manifesté devant lui, en descendant la Saône entre la Neuville et Lyon. Un jour, il se trouva, par hasard, sur le coche, un jeune homme d’un myopisme pareil à celui d’Ampère. Les lunettes de ce compagnon de voyage étaient du numéro qu’Ampère eût choisi chez un opticien. Il les essaya, et tout à coup la nature s’offrit à lui sous un aspect inattendu, et les mots : campagnes riantes, pittoresques, collines gracieuses, tons riches, chauds, harmonieusement nuancés, parlèrent pour la première fois à son imagination ; et un torrent de larmes témoigne de l’émotion qu’il éprouvait. Ampère avait alors dix-huit ans ; depuis cette époque il se montra toujours très-sensible aux beautés de la nature. Ce fut à tel point qu’en 1812, dans un voyage sur les frontières méditerranéennes de l’italie, la vue du paysage qu’on apercevait d’un certain point de la célèbre corniche de la rivière de Gênes le plongea dans une telle admiration, dans une telle extase, qu’il se sentit saisi du désir le plus violent de mourir à l’instant même, en présence de ce tableau sublime. S’il fallait montrer combien ces impressions étaient profondes, combien Ampère les jetait facilement au milieu des scènes vulgaires qu’il désirait embellir, on en trouverait la plus singulière preuve dans une de ses lettres portant la date du 24 janvier 1819. À cette époque, le membre de l’Institut habitait depuis peu la modeste maison qu’il avait achetée au coin de la rue des Fossés-St·Victor et de la rue des Boulangers. Le jardin, plus modeste encore, formé de quelques dizaines de mètres superficiels d’un terrain infertile, venait d’être bêché. À certain escalier avait succédé un sillon rapide et sinueux dont les bords, sur la partie la plus profonde, supportaient deux ou trois planches assez étroites ; le tout se trouvait entouré de murs extrêmement élevés. Mais n’est-ce pas là, dira-t-on, le tableau du préau humide et sombre d’une prison ? Non : c’est la description exacte du jardin où Ampère, au milieu de janvier, dans la rue des Boulangers, rêvait déjà, on peut même dire, voyait de frais gazons, des arbres resplendissants de verdure, des bouquets de fleurs brillantes et embaumées, des touffes d’arbrisseaux au milieu desquelles on espérait lire avec délices les longues lettres des amis lyonnais ; où le pont jeté sur la vallée devait former un pittoresque point de vue. Voila peut-être, dans la vie d’Ampère, la seule circonstance ou des élans d’imagination n’aient point été pour lui une source de chagrins. Ce n’est pas seulement aux émotions douces, grandioses, sublimes, dont la vue de certaines contrées et des pays de montagnes saisit la plupart des hommes, qu’Ampère fut initié tard et subitement ; c’est aussi tout à coup que le sens musical se développa chez lui. Dans sa jeunesse, il donna une très-sérieuse attention à l’acoustique. Il se complaisait à étudier la manière dont les ondulations aériennes naissent et se propagent ; les formes diverses que prend une corde en vibration ; les curieux changements périodiques d’intensité qu’on a désignés sous le nom de battements, etc., etc. Quant à la musique proprement dite, c’était pour lui lettres closes. Le jour vint où certaines combinaisons de notes devaient être pour Ampère autre chose que le sujet d’un problème mathématique, autre chose aussi que le tintement monotone des cloches. Il atteignait déjà sa trentième année, et assistait, en compagnie de plusieurs amis, à un concert où, dans le principe, on exécute exclusivement des morceaux de la musique profonde, énergique, expressive de Gluck. le malaise d’Ampère était visible pour tout le monde : il baillait, se tordait, se levait, marchait, s’arrêtait, marchait encore sans but et sans suite. De temps en temps (chez lui c’était le dernier terme d’une impatience nerveuse), il allait enchâsser sa figure dans l’un des angles du salon, en tournant le dos à la compagnie. Enfin l’ennui, ce terrible ennemi que le savant académicien ne sut jamais maîtriser, faute, disait-il, d’avoir été à l’école dans sa jeunesse, sortait par tous ses