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dialogue facile et vrai, d’une gaieté soutenue, sans jargon, sans quolibets, sans faux esprit ; un style ingénieux et naturel, plein de jolis vers et de saillies fort plaisantes ; un développement aisé et clair dans la marche de la pièce ; des personnages qui ont tous de la physionomie et le langage qui leur est propre ; assez d’intérêt pour un ouvrage de ce genre… Voilà ce qui doit distinguer cette comédie de la foule de ces bagatelles éphémères. C’est sans contredit la plus jolie que nous ayons vue depuis les Fausses infidélités (1768), et la seule qui soit écrite de manière à être lue avec plaisir. » Ce jugement d’un critique célèbre qui avait peu d’indulgence pour les auteurs vivants a été résumé ainsi par Palissot, autre critique habile, mais souvent injuste et passionné : « On retrouve dans les Étourdis le style et l’ancienne gaieté de la bonne comédie. » Le temps a sanctionne ces deux jugements. Les Étourdis sont restes au répertoire de notre premier théâtre, où de fréquentes représentations ne font que rajeunir leur premier éclat. Les autres ouvrages dramatiques d’Andrieux n’ont point eut le même succès. 3o Les Deux Sentinelles, opéra en un acte et en prose, mêlé d’ariettes, musique de Daleyrac, 1788. 4o Louis IX en Égypte, tragédie lyrique en 3 actes, en société avec Guillard ; musique de Lemoine, 1790[1]. 5o L’Enfance de J.-J. Rousseau, comédie en un acte et en prose ; musique de Daleyrac (1794). 6o Helvétius, ou la Vengeance d’un sage, comédie en un acte en vers (1802). Andrieux a voulu peindre, dans un assez mauvais philosophe, un homme de bien, dont les actions valaient mieux que les théories. 7o La Suite du Menteur, comédie de Pierre Corneille, retouchée et réduite en 4 actes, avec un prologue, 1803. Andrieux dit dans sa préface : « Je travaillais sur un plan et sur des vers de Corneille ; et, d’après les conseils de Voltaire, c’était avoir à la fois un beau modèle et un excellent maître. » Il rend compte des changements considérables qu’il a faits à l’ouvrage du grand Corneille, qui, dit-il, » après Molière, est peut-être celui des poëtes qui a le plus franchement écrit la comédie. » On trouve ces vers dans le prologue :


Ô Corneille ! ô grand homme !…
Toi qui dans ce bel art fus notre premier maître,
Toi qui créas Racine, et Molière peut-être !

Dans le Menteur, Dorante ment presque toujours, parce que l’auteur veut qu’il mente ; dans la Suite du Menteur, Dorante rougit de son habitude, forme le projet de ne plus mentir, et ment à chaque instant, presque malgré lui, car c’est toujours la situation qui le force à mentir. Cette idée est comique et morale. Andrieux a fait disparaître des scènes inconvenantes ; il a supprimé, châtié, refondu un grand nombre de vers. Il a rajeuni une foule d’expressions vieillies, et presque toujours il sait si bien assortir son style à celui de Corneille, qu’il est souvent difficile de distinguer l’un de l’autre. Cependant cette Suite du Menteur retouchée fut jouée avec un faible succès au théâtre Louvois. Andrieux, toujours égaré par le jugement de Voltaire, revit son travail en 1808 ; il refondit la pièce, et, à l’exception des trois premiers actes et du rôle de Mélisse, tout le reste est à peu prés de son invention. Mais le second essai fut encore plus malheureux que le premier. La pièce n’eut que sept représentations au Théâtre-Français. On trouva qu’Andrieux faisait mentir Dorante sans motifs excusables ; et la critique dit alors que ce qui faisait le plus de tort au Menteur de M. Andrieux, c’était le Menteur de Corneille. 80 Le Trésor, comédie en 5 actes et en vers, 1803. En mettant sur la scène un homme qui fouille en vain le sol de sa maison, qu’il a payée trois fois sa valeur, dans le fol espoir d’y trouver un trésor, Andrieux a donné une leçon de morale dans une intrigue amusante. Sept ans s’étaient écoulés depuis le premier succès de cette pièce, lorsque, en 1810, elle fut signalée, par la seconde classe de l’Institut, comme digne du prix qui devait être décerné à la meilleure comédie représentée dans la période décennale. Andrieux proposa que cette palme couronnât l’urne funéraire du plus cher de ses amis, Collin d’Harleville, dont il pleurait la mort récente. Les teintes du décret impérial, qui d’ailleurs fut comme une mystification littéraire, ne permirent que d’applaudir à ce rare et généreux dévouement. 7o Le Jeune Homme à l’épreuve, comédie en 5 actes de Destouches, remise en 3 actes, avec le vicomte de Ségur, 1803 ; travail sans succès, comme presque toutes les tentatives qui ont été faites par des auteurs vivants pour reproduire sur la scène, revues et corrigées, les œuvres dramatiques des auteurs morts. 10° Molière avec ses amis, ou la Soirée d’Auteuil, comédie en un acte et envers, 1804 ; légère esquisse, crayon facile, sujet assez triste, égayé par la plaisante physionomie de ce Lully que Molière interpellait quelquefois par ces mots : Baptiste, fais-nous rire ! et dont Boileau disait :


Ses bons mots ont besoin de farine et de plâtre.


Ceux qu’Andrieux met dans sa bouche sont plus fins et plus polis. Lully n’est plus ce bouffon odieux, ce coquin ténébreux, ce cœur bas dont parle le satirique : c’est un plaisant qui aiguise des saillies dans un vers spirituel. Ce personnage contribua beaucoup au succès d’une comédie où l’on voit une anecdote assez incertaine mise en action : les premiers génies du grand siècle, livrés à une orgie, et prés de suivre ce fou de Chapelle qui, déjà noyé dans le vin, veut aller se noyer dans la Seine. M. Onésime Leroy remarque avec esprit que, par la manière dont Andrieux sait faire parler les grands poëtes réunis a Auteuil, il aurait pu, lui aussi, s’asseoir à leur souper. 11o Le Vieux Fat, comédie en 5 actes et en vers, 1810. Cette pièce n’eut qu’un faible succès, le sujet était ingrat. Un vieillard amoureux est plus triste encore qu’il n’est ridicule. Andrieux racontait

  1. Cet opéra réussit ; mais un seul vers pouvait en compromettre le succès : lorsque deux Bedouins se préparaient à tuer le saint rot dans la Palestine, l’un d’eux disait : Toi, commence ; et l’autre répondait : Commence, toi. Il fallut changer ce vers, qui déplut au parterre, et qu’aujourd’hui la nouvelle école trouverait fort bon.