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tèrent sa surprise, comparativement avec la nudité des caravansérais de Perse, l’obscurité nébuleuse de l’atmosphère n’opéra pas un effet moins sensible sur son physique et son moral. Il parut étonné du peu d’empressement des Anglais à accourir sur son passage, du peu de pompe de sa réception, et surtout du modeste costume du roi d’Angleterre, qu’il avait pris pour un capidji ou portier, et auquel il avait remis en mains propres ses lettres de créance. Mais il espérait que son souverain ne le rendrait pas responsable d’un cérémonial si cavalier, lorsqu’il saurait que son représentant n’avait point ôté sa chaussure et ne s’était point mis à genoux en paraissant devant un prince chrétien. À part ces préjugés orientaux, dont il se corrigea insensiblement, Aboul-Haçan se plia sans peine et très-vite à tous les usages européens ; il donna même un dîner servi à l’anglaise. Ce qui attira surtout son attention à la chambre des pairs, fut l’immense perruque du lord chancelier, qu’il comparait à une toison de brebis. À la chambre des communes, il prit parti pour un jeune orateur qui avait terrassé ses adversaires par son éloquence véhémente. Deux traits feront connaître les dispositions de son âme. En assistant à une représentation de la tragédie du Roi Lear, il répandit des larmes abondantes ; il éprouva une vive émotion en visitant l’église Saint-Paul, le jour anniversaire de la fondation de l’hôpital des enfants de charité, et rien ne contribua plus que cette institution à lui inspirer une estime réelle et durable pour le caractère national des Anglais. La répugnance qu’Aboul-Haçan avait témoignée pour la mer fut mise à une épreuve plus forte lorsque, après neuf mois de séjour à Londres, sa mission étant terminée, il s’embarqua le 18 juillet 1810, à Spithead, avec sir Gore Ouseley, ambassadeur extraordinaire de S. M. Britannique en Perse. Il relâcha à Madère, au Brésil, aux iles de Tristan da Cunha et de Ceylan, à la côte de Malabar et à Bombay, où il reçut un firman de son souverain qui lui conférait le titre de kan. Il cessa alors de boire du vin et tâcha de faire oublier qu’il en avait bu en Angleterre et pendant la traversée. Le 30 janvier 1811, il remit à la voile, et débarqua a Bouschehr, port du golfe Persique, après un voyage de sept mois et demi et une absence de prés de deux ans. À Chiraz, il apprit la mort de son fils unique ; sa douleur fut d’autant plus vive que sa femme était trop âgée pour lui donner d’autres enfants, et trop jalouse pour lui permettre de contracter un autre hymen. Il laissa l’ambassadeur anglais à Chiraz, et se rendit à Téhéran, où il rendit compte au roi de sa mission et en obtint la permission d’aller se reposer dans sa famille à Ispahan : il y rejoignit sir Gore Ouseley, qu’il accompagna jusqu’à Téhéran. Appelé à l’audience que cet envoyé obtint du roi de Perse, il eut le plaisir d’entendre le premier donner des éloges à sa conduite et à ses talents, et son souverain se féliciter de l’avoir choisi pour son représentant. Aussi, lorsqu’en 1815 des négociations eurent lieu, par la médiation de l’ambassadeur d’Angleterre, entre la Russie et la Perse, Aboul-Haçan-Kan fut nommé plénipotentiaire de Feth-Ali-Schah, et se rendit à Gulistan, dans le Karabagh, pour s’aboucher avec le général Rititschew, gouverneur de la Géorgie. Des préliminaires de paix ayant été signés le 12 octobre, il les apporta à la cour de Téhéran. Pour parvenir à la conclusion d’un traité de paix définitif, il était nécessaire d’envoyer une ambassade à l’empereur Alexandre, et ce fut encore Mirza Aboul-Haçan qui fut nommé ambassadeur extraordinaire et ministre plénipotentiaire auprès de la cour de Russie. Ses manières affables et conciliantes, et la connaissance qu’il avait acquise des coutumes de l’Europe et de la langue anglaise, lui avaient mérité les bonnes grâces de toutes les autorités russes en Géorgie. Les plus grands préparatifs furent faits pour rendre cette ambassade imposante : suite nombreuse, habits magnifiques, présents riches et curieux, parmi lesquels on remarquait deux éléphants. Deux mois après le départ de sir Gore Ouseley, qui retournait en Angleterre par la Russie, afin de veiller aux intérêts ultérieurs de la Perse, Mirza Aboul-Haçan-Kan se mit en route à la fin de juillet 1814, et n’arriva à Pétersbourg qu’au mois de juin 1815 ; il fut obligé d’attendre le retour de l’empereur Alexandre, qui faisait a cette époque-son second voyage en France. Il fut reçu en audience particulière par ce prince, à la fin de l’année, et le 1er janvier 1816 il fit son entrée solennelle dans la capitale. Les éléphants qui portaient les présents étaient couverts de riches tapis, et on leur avait mis des chaussures fourrées, à cause du froid. Le 4, il eut son audience publique de l’empereur. C’était le premier ambassadeur persan qu’on eût vu en Russie de puis celui qu’y avait envoyé Nadir-Schah, en 1741. De retour en Perse, Aboul-Haçan fut chargé par son maître, en 1818, d’une mission plus brillante, mais dont l’importance et le but réel n’ont jamais transpiré. Arrive à Constantinople à la fin de septembre, il fut présenté au sultan, et ayant poursuivi sa route, il arriva à Vienne vers la fin de l’année. Reçu par M. de Metternich le 5 février 1819 (M. de Hammer servant d’interprète), il fit son entrée solennelle et fut admis à l’audience de l’empereur. Il arriva le 6 mars à Paris. Pendant un séjour d’un mois et demi dans cette capitale, il visita les principaux établissements consacrés aux sciences, aux lettres, aux beaux-arts et à l’industrie, les monuments publics ; on le vit partout, aux spectacles, sur les promenades, à l’inauguration d’une loge maçonnique, à une dégradation militaire, enfin aux repas et aux soirées de la cour. C’était un fort bel homme, aux grands yeux noirs, à la longue barbe, et qui joignait à des manières affectueuses une physionomie à la fois douce et sévère. Après avoir été reçu en audience par le roi, il partit pour Londres, où il fut visité par lord Castlereagh et sir Gore Ouseley. Les journaux anglais firent alors des plaisanteries sur le prétendu projet d’émancipation d’une Circassienne qu’il avait amenée, et qui préféra, dit-on, son esclavage à la liberté. Pendant son séjour à Londres, on publia à Paris les Voyages de Mirza Abou-Taleb-Kan : c’était une nouvelle traduction d’un ouvrage qui avait paru huit ans auparavant. Soit par méprise, soit par spéculation, l’éditeur ayant confondu l’auteur de cet ouvrage avec