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m’est demandé, en tant qu’il est d’accord avec lui-même et la religion protestante. Je déclare donc que je n’entends m’engager, ni comme pair, ni d’une manière légale, à ne pouvoir voter ni tenter les changements que je croirais avantageux à l’Église et à l’État, et qui ne seraient contraires ni a ma conscience comme protestant, ni à ma fidélité comme sujet ; et j’entends que cette déclaration fasse partie de mon serment. » Ni le duc d’York, auquel il avait préalablement communiqué ces restrictions, ni les autres membres présents à la séance ne firent d’observation. Argyle fut admis à siéger ; mais quelle ne fut pas sa surprise, lorsque, au sortir du conseil, on vint l’arrêter comme prévenu de diffamation (leasing-making), de parjure et de haute trahison. Le tribunal qui devait prononcer sur la question de droit, appelée en Écosse the relevancy of the libel, était composé d’un grand juge, de cinq juges et d’un greffier. Argyle fut défendu par un avocat très-distingué, nommé Lockhart, qui prononça un plaidoyer de trois heures, et prouva clairement qu’il n’y avait pas crime de haute trahison, ni même simple délit. Selon les statuts de ce tribunal, le grand juge ne devait prononcer que dans le cas de partage. Un des juges était sourd et si vieux qu’il resta chez lui pendant tous les débats. Mais les voix des quatre autres s’étant partagées, on fit venir le vieillard, et il vote pour la condamnation. Le jury, qui n’avait il prononcer que sur le fait, déclara Argyle coupable de trahison, mais non coupable de parjure. Le roi, instruit des résultats de la procédure, ordonna de prononcer l’arrêt de mort, mais d’en suspendre l’exécution jusqu’à nouvel ordre. Le duc d’York assurait à qui voulait l’entendre que ni la vie ni les biens d’Argyle ne couraient aucun risque ; qu’on n’avait poussé les poursuites jusqu’à cette extrémité que pour le faire renoncer à une juridiction héréditaire dans sa famille, qui lui donnait une influence dangereuse dans le haut pays, et entravait l’action des tribunaux ordinaires. Cependant Argyle put croire que le jugement serait exécuté. On fit venir à Édimbourg un détachement des gardes ; il y avait dans la prison un appartement destiné aux pairs condamnés au dernier supplice, et cet appartement fut préparé ; enfin une personne de qualité assura, sur son honneur, au malheureux condamné, qu’elle avait entendu dire à quelqu’un, fort en faveur auprès du duc, qu’il fallait exécuter l’arrêt. Argyle, ajoutant foi à ces paroles, s’évada de la prison sous un déguisement. Il vint à Londres ; et, après s’y être caché pendant quelques mois, trouva l’occasion de passer en Hollande. Il s’établit dans la Frise, où il mena une vie très-retirée jusqu’à l’avènement de Jacques II (février 1685). Alors il quitta sa retraite, et se lia avec les plus marquants des émigrés anglais et écossais qui se trouvaient dans les Pays-Bas, tels que le duc de Monmouth, Halifax, Patrik Hume, André Fletcher de Saltoun, John Cochrane d’Ochiltrée, Aylofïe, neveu de lord Clairenden, et Rumbold, ce fameux marchand de drèche que l’on avait accusé d’être entré dans le complot de Rye-House. Tous se liguèrent, et résolurent de mettre en campagne les covenantaires aussitôt qu’ils en auraient les moyens. Argyle prétendait qu’il n’avait besoin que d’une somme d’argent pour acheter des armes. Il voulait d’abord se rendre dans ses domaines (Argylshire), espérant y lever facilement 5,000 hommes, et persuadé que les population ; des comtés de l’ouest et du sud accourraient se ranger sous ses drapeaux, dès qu’il paraîtrait à la tête d’un corps de troupes. Une veuve d’Amsterdam, madame Smith, aussi riche que zélée pour la cause des réfugiés, et qui sut à quoi tenaient les projets d’Argyle, lui envoya 10,000 livres sterling. Avec ces ressources, toutes faibles qu’elles étaient, il se procura des vaisseaux, des armes et des munitions, par l’entremise d’un négociant vénitien, qui conduisit cette opération avec un grand secret et un rare bonheur, prétextant qu’il agissait pour le service de sa patrie. Argyle s’embarqua avec ses camarades dans le port d’Uly (2 mai 1685) ; mais ils furent a peine partis qu’il s’éleva entre eux de vives contestations. Le comte était d’avis de tourner l’Écosse et de débarquer sur la côte des provinces qui étaient dans sa dépendance. Hume trouva cette navigation trop longue et trop périlleuse ; Argyle insista pour son plan, et il avait une telle idée de son influence personnelle et des résultats qu’il en obtiendrait, que ses compagnons, offensés de sa présomption, furent à plusieurs reprises sur le point de rompre avec lui. Monmouth se fût volontiers associé à l’expédition d’Argyle, mais celui-ci ne l’y engagea pas ; il le pressa, au contraire, d’en tenter une pareille sur les côtes d’Angleterre ; ce qu’il fit peu de temps après. La flottille d’Argyle consistait en trois bâtiments, un de trente canons, un de douze, et un autre de six, et en une vingtaine de petits bateaux. Le voyage fut heureux ; Argyle doubla le nord de l’Écosse, et débarqua quelques-uns de ses amis dans les Orcades, afin de sonder les dispositions du peuple, sachant bien que ses forces n’étaient pas suffisantes pour frapper un coup décisif, et que le succès dépendait entièrement des renforts que devait lui procurer l’intérieur du pays. Deux de ses compagnons qu’il mit à terre, Spence et Blackadder, furent arrêtés à Kirkwall, par l’évêque du diocèse, et envoyés à Édimbourg. Par cette capture, le gouvernement, averti déjà de l’expédition, ne put plus avoir de doute sur le point où devait se faire le débarquement. Le parlement, jaloux de soutenir les prérogatives de la couronne, enjoignit à tous les sujets de prêter le serment d’allégeance, et fit arrêter les personnages les plus influents du clan d’Argyle. Les milices du royaume, qui s’élevaient à environ 22,000 hommes, furent mises sur pied, et l’on en envoya le tiers avec les troupes de ligne a la recherche de l’ennemi. On fit en outre surveiller les côtes par deux frégates, le King’s Fisher et le Falcon. Repoussé par les vents contraires de l’île d’Iley où il voulait opérer une descente, Argyle revira de bord et cingla vers Dunstalfnage, dans le district de Lorn (Argyleshire). Là, il fit débarquer son fils, Charles Campbell, afin d’engager ses fermiers, ses amis, et tous ceux qui montraient de rattachement pour sa famille, à faire