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cause commune avec lui. Mais sa surprise fut grande en apprenant que des forces considérables étaient déjà rassemblées et prêtes à marcher contre lui. Sans perdre courage, il se dirigea vers le sud, et débarqua à Campbell-Town. Une proclamation qu’il fit dans cette ville étant restée sans résultats, il somma les habitants des campagnes de se ranger sous ses drapeaux, et écrivit à plusieurs gentilshommes, les menaçant d’une exécution militaire s’ils ne prenaient pas les armes. Quelques-uns répondirent à son appel, et dès qu’il eut réuni environ six cents hommes de pied et cent cavaliers, il se rendit à Tarbel, y git embarquer son monde et passa dans l’île de Bute. De là il fit voile pour le district de Cowel ; mais instruit que les deux frégates royales étaient attendues à Locke-Rowen, il plaça sa flottille sous la protection du château d’Ellengreg, dont il répara les fortifications, et où il déposa ses armes et ses munitions, qui consistaient en quelques pièces de canon, 5,000 fusils, des armes blanches, cinq cents barils de poudre, des balles, etc. Il y laissa une garnison de cent cinquante hommes ; mais, à la première apparition des frégates, cette troupe prit la fuite, abandonnant les vaisseaux, les bateaux, les armes et les munitions. En attendant, Argyle avait envoyé plusieurs détachements dans l’intérieur du pays ; mais ils furent successivement défaits par les milices du marquis d’Athol, bien qu’ils leur fussent supérieurs en nombre. Ces petits succès donnèrent au comte Dunbarton, général en chef des forces royales, le temps d’avancer vers le gros des rebelles, commandé par Argyle en personne, et qui se montait à 3,000 hommes environ. Cette petite armée ayant passé la rivière du Leven, Dunbarton, pour l’atteindre, prit la route de Stirling : il la rencontra dans la paroisse de Keller ; mais comme elle était dans une position avantageuse, et que la nuit approchait, il n’osa pas l’attaquer immédiatement. Argyle, prévoyant le danger, décampa sans bruit pendant la nuit, et, après avoir traversé la Clyde, arriva le lendemain à Renfrew, où il fit la triste découverte qu’une grande partie de ses soldats l’avaient quitté pendant la marche. Cette funeste retraite acheva de lui faire perdre toute espèce d’autorité sur ceux qui l’accompagnaient. Dans un moment aussi critique, Patrick Hume et sir John Cochrane ne daignèrent pas même conférer avec celui auquel ils avaient juré d’obéir, et ils le quittèrent, emmenant avec eux deux cents de ses soldats. Dunbarton se porta vers Glascow ; Argyle, averti, crut pouvoir l’éviter par un chemin plus court, et s’emparer ainsi le premier de cette ville ; mais, par l’erreur de son guide, il se trouva engagé dans un terrain marécageux, et fut obligé d’abandonner sa cavalerie et son bagage. Son infanterie se divisa alors en plusieurs détachements. Dunbarton adopta une mesure pareille, et bientôt toutes les troupes d’Argyle furent prises ou dispersées par l’armée royale, et ce chef resta seul avec son ami Fullarton. Voyant l’impossibilité de faire de nouvelles levées, ou de se cacher dans les environs, ils se décidèrent à chercher un refuge au delà de la Clyde ; mais, arrivés à un gué de l’Incanon, ils furent arrêtés par des soldats de milice. Voici comment Fox[1] raconte cette arrestation, d’après un écrit composé par Argyle même, et dont l’authenticité, dit-il, n’a jamais été révoquée en doute : « En vain Fullarton se servit de tous les expédients que sa présence d’esprit put lui suggérer pour sauver son général. Il employa tour à tour la douceur et la menace pour amuser le chef de la milice, et favoriser ainsi la fuite d’Argyle, qui était travesti en paysan, et qu’il avait fait passer pour son guide. Voyant enfin qu’il lui était impossible de détourner les soldats de la poursuite de ce prétendu guide, il leur offrit de se rendre sans coup férir, pourvu qu’ils consentissent à s’en désister. Ces conditions furent acceptées, mais non pas observées ; et deux hommes a cheval furent détachés pour s’assurer de la personne du fugitif. Argyle, qui était aussi à cheval, se débattit longtemps, et renversa l’un d’eux, et tomba lui-même avec lui, Il réussit d’abord à les écarter l’un de l’autre en leur présentant ses pistolets de poche ; mais cinq des leurs survinrent, firent feu à la fois sur lui, et le manquèrent. Il se croyait débarrassé d’eux, lorsque, revenant à la charge, ils le frappèrent de leurs sabres, et se saisirent de sa personne. Quand ils surent que c’était Argyle qui était en leur pouvoir, ils parurent fort troublée, mais ils n’osèrent pas le laisser aller. » Fullarton, indigné de la mauvaise foi de ces hommes, s’empara d’une épée, résolu de leur vendre chèrement sa vie ; mais, bientôt accablé par le nombre, il eut le même sort que son ami. Argyle fut conduit à Édimbourg, où le comte de Perth, alors chancelier d’Écosse, le traita avec tous les égards dus au malheur. Comme il avait déjà été condamné, on ne lui fit point un nouveau procès, et le parlement se borna à voter une adresse dans laquelle il supplia le roi de ne faire aucune grâce a un ingrat qui avait abusé de ses bienfaits et de ceux de son prédécesseur. Cette demande ayant été accueillie, la réponse suivante, revêtue du seing royal et contre-signée par lord Melvil, secrétaire d’État pour l’Écosse, fut adressée au conseil privé d’Édimbourg : « Attendu que le ci-devant comte d’Argyle est, avec l’aide de Dieu, tombé en notre pouvoir, c’est notre volonté et notre bon plaisir que vous preniez tous les moyens d’obtenir de lui la révélation de ce qui importe le plus à la sûreté de notre gouvernement, comme les noms de ceux qui l’ont assisté en hommes, en armes ou en argent, de ses associés, de ses correspondants ; la connaissance de ses desseins, etc. Mais tout cela doit être fait assez rapidement pour que le châtiment qu’il mérite n’éprouve aucun délai ; et de manière qu’il subisse celui des traîtres dans l’espace de trois jours après la réception de la présente. Vous rendrez compte aussitôt, soit à nous-même, soit à nos secrétaires d’État, de l’exécution de nos ordres, ainsi que des aveux du coupable ; et la présente

  1. A History of the early part of the reigb of James the second, Londres, 1808, deux vol. in-8o. Il en existe une traduction française sous le titre d’Histoire des deux derniers rois de la maison de Stuart, Paris, 1809, 2 volumes in-8o. (Voyez Andrezel.)