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arts. Jamais deux hommes n’avaient été aussi complétement créés l’un pour l’autre : même élan chevaleresque, même amour de la gloire, même horreur pour l’anarchie, même enthousiasme pour une sage, véritable et noble liberté. Il accompagna son maître à Pétersbourg en 1777 ; il contribua par ses conseils, en 1780, à la signature du remarquable traité de la neutralité armée ; entra à la même époque dans les gardes du corps du roi ; suivit Gustave III en Hollande, à Spa, à Aix-la-Chapelle ; fut fait aide de camp du monarque, premier gentilhomme de sa chambre et directeur des spectacles en 1781. Il se rendit à la suite de Gustave aux conférences que ce prince eut en Finlande avec Catherine II, et voyagea avec lui en Italie et en France dans les années 1783 et 1784, laissant partout de doux et honorables souvenirs. Le roi le maria, en 1785, avec une des plus aimables personnes de sa cour, héritière de l’illustre maison de la Gardie[1]. Envoyé à Copenhague en 1786, il y fut décoré e l’ordre de l’Éléphant, et devint, l’année suivante, membre de l’académie suédoise, colonel, aide de camp général, chef du régiment de Nyland. Depuis la révolution de 1772, le cabinet de St-Petersbourg ne cessait d’employer l’intrigue et l’or pour exciter à la révolte les sujets suédois, et surtout la province de Finlande. Il fallait subir lâchement ses insultes ou s’en affranchir par les armes. D’Armfeldt contribua puissamment au choix de cette dernière et noble résolution, prise au moment où la Russie, engagée dans une guerre flirteuse contre les Turcs, craignant une insurrection en Pologne, et surtout la coopération hostile de la Prusse et de l’Angleterre, faisait présager à la Suède un succès prompt, glorieux et libérateur. Mais Gustave, arrivé déjà presque à la vue de Pétersbourg, ville sans défense, vit ses forces paralysées par la révolte des officiers de son armée, qui deux fois cherchèrent à le livrer à l’ennemi ou à l’assassiner, d’abord le 19 août 1788, dans un fourrage où il s’était trop avancé, puis lorsqu’il revint en Suède pour s’opposer à l’invasion des Danois ; occasions dans lesquelles il fut sauvé par d’Armfeldt. Gustave, attaqué, a l’instigation de la Russie, par ses voisins de l’ouest, envoya vers les fidèles Dalécarliens d’Armfeldt, qui devint leur idole en adoptant leur costume, leur langage, leurs mœurs et jusqu’à leur frisure, en vivant et mangeant avec eux comme leur camarade. Il parvint à y former un corps de 12,000 hommes, repoussa les Danois, qui firent la paix, et détermina, malgré les rigueurs de la saison, cette troupe dévouée à un tel chef à marcher vers la capitale. Il la cantonna au château de Drottningholm durant la diète de 1789, afin d’être en mesure de secourir le monarque en cas de besoin. « Prenez-y garde, lui avait dit un sénateur, vous pourriez être cruellement compromis. — Votre excellence voit donc là de grands dangers pour moi ? — Oui, certes ! — Eh bien, reprit d’Armefeldt, j’en cours les risques, et pars à l’instant même. » Ce qu’il fit en effet. Nommé membre du gouvernement provisoire durant une courte absence du monarque, il repassa bientôt en Finlande à la tête des Dalécarliens ; s’y distingua aux affaires d’Helsingfort, Pardokoskis, Karnakoskis, Savitoïpol ; fit dangereusement blessé après avoir essuyé pendant six heures le feu d’un ennemi très supérieur en nombre, n’ayant lui-même qu’une poignée de troupes et abandonné par ceux qui devaient le soutenir. Élevé a cette occasion au grade de général major, et fait grand-croix de l’ordre de l’Épée, il signa, le 19 août 1790, la paix, de Varela, suivie, en 1791, d’un traité d’alliance offensive, dont les stipulations secrètes portaient union des deux couronnes contre la révolution de France. D’Armfeldt devint alors chevalier de l’ordre des Séraphins de Suède, et de St-André de Russie, et il obtint le commandement du deuxième régiment des gardes. Il suivit le roi à Aix-la-Chapelle en juillet 1791, y vit le comte d’Artois ; et, au récit des malheurs d’un pays qu’il idolâtrait, il devint aussi Français royaliste par le cœur qu’il l’était déjà par les manières, les mœurs et le caractère. Gustave III, vivement poussé par d’Armfeldt, s’occupait des préparatifs de son expédition contre la France révolutionnaire, quand, le 16 mars 1792, il tomba sous les coups du régicide Anckarstroem. Dès lors d’Armfeldt ne quitta plus son royal ami que pour se livrer à la recherche de son assassin ou de ses complices, et son activité, comme sa profonde douleur, contraste singulièrement avec la froide indifférence du duc de Sudermanie (voy. Charles XIII), a qui Gustave, mort le 29 mars, ne pouvant ôter la régence, enjoignit du moins de conserver dans son conseil le baron d’Armfeldt, qu’il nommait gouverneur de Stockholm. Mais le régent, gêné dans ses projets d’usurpation par un homme revêtu des plus hautes dignités, et qui, premier gentilhomme de la chambre du jeune prince, jouissait déjà près de lui de la plus grande faveur, fit répandre sur le compte de son ennemi des calomnies sans nombre par les mécontents du dernier règne, et, n’osant l’attaquer ouvertement et en sa présence, il le nomma lieutenant général et ambassadeur à Naples. D’Armfeldt, ne pouvant refuser cette mission, se contenta de dévoiler au roi, alors âgé de treize ans, les coupables desseins de son oncle, et de combiner les moyens d’entretenir avec son jeune maître une correspondance secrète. Sachant bientôt que le régent traitait avec le gouvernement révolutionnaire de France, dont il cherchait a obtenir des subsides et la reconnaissance éventuelle de son usurpation projetée, il pensa devoir intéresser la Russie au salut de sa patrie, par le mariage d’une des petites-filles de Catherine II avec le jeune roi ; il agit également en sa faveur près des cabinets de Vienne et de Berlin. Alors le duc de Sudermanie l’accusa de trahison et demanda son arrestation à la cour de Naples. D’Armfeldt fut prévenu à temps, et son valet de chambre français,

  1. Madame d’Armfeldt, issue d’une maison royale, était l’une des femmes les plus distinguées de la cour de Suède. Elle fut nommée grande gouvernante du jeune prince Gustave, aujourd’hui au service d’Autriche et marié à l’une des filles de Stéphanie de Beauharnais, grande-duchesse douairière de Bade ; et elle est devenue, en 1811, dame l’honneur des deux impératrices de Russie Marie Fédorowna et Élisabeth Alexiewna.