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12e siècle. Une des branches passa en Auvergne. Son père, attaché au connétable de Bourbon, s’était distingué par son zèle pour les intérêts de la maison de ce prince, et il avait favorisé son évasion ; reçu avocat au parlement, le fils s’y fit un nom par son éloquence. Lorsque Henri IV voulut donner au duc de Savoie une idée du barreau français, il choisit un jour où Arnauld devait plaider. Il s’agissait d’une femme qui accusait un jeune homme d’avoir tué son fils ; Arnauld, avocat de la mère, gagna sa cause, et le roi fut si satisfait qu’il le nomma conseiller d’État. L’avocat général Marion fut un jour si enchanté de l’entendre, qu’après l’audience il l’emmena chez lui, et lui donna sa fille aînée en mariage. Le plus célèbre de tous ses plaidoyers fut celui qu’il fit en 1594, en faveur de l’université de Paris, contre les jésuites, dont il était l’élève. Il mit sur leur compte tous les forfaits de la ligue, et conclut à leur expulsion du royaume. Cette violente déclaration, qui, dans le temps, fut appelée une Philippique, a été imprimée plusieurs fois, et notamment en 1717, in-12 ; et le président de Thou en a inséré une partie dans son Histoire. Mais ce qui est plus estimable qu’un beau discours, c’est le désintéressement avec lequel Arnauld refusa les présents que lui offrit l’université. Cette compagnie s’en vengea par un décret honorable, qui obligeait tous les ordres de l’université, envers son défenseur et ses descendants, à tous les devoirs d’un client envers son patron. Un autre ouvrage qu’Antoine Arnauld publia contre la société de Jésus a pour titre : le Franc et véritable Discours du roi sur le rétablissement qui lui est demandé par les jésuites, in-8o. On a encore de lui : l’Anti-Espagnol, imprimé dans le Recueil des excellents et libres Discours sur l’état présent de la France, 1606, in-12, et dans les Mémoires de la ligue, t. 4, p. 230 ; la Fleur de lys, 1593, in-8o ; la Délivrance de la Bretagne ; la Première Savoisienne, 1601, in-8o, réimprimée à Grenoble en 1630, avec la seconde ; un Avis au roi Louis XIII pour bien régner, 1615, in-8o ; la première et la deuxième Philippique contre le roi d’Espagne Philippe II, 1592, in-8o. Il mourut le 29 décembre 1619, âgé de 59 ans. Catherine Marion, son épouse, lui avait donné vingt enfants, dont dix morts en bas âge, quatre fils et six filles toutes religieuses à Port-Royal, monastère dont il avait été comme le second fondateur. Sa probité, son attachement aux véritables intérêts du royaume, sa modestie, égalèrent ses talents. Il avait refusé les places d’avocat général au parlement de Parts, de premier président à celui de Provence. Catherine de Médicis voulut le faire secrétaire d’État ; mais il eut le désintéressement de répondre « qu’il et la servirait mieux en qualité d’avocat général. » Lemaistre, son petit-fils et son filleul, fait allusion à cette anecdote dans cette épitaphe qu’il fit en son honneur :

Passant, du grand Amand révère la mémoire ;
Ses vertus à sa race ont servi d’ornement,
Sa plume à son pays, sa voix au parlement,
Son esprit à son siècle, et ses faits à l’histoire.
Contre un second Philippe, usurpateur des lis
Ce second Démosthène anima ses écrits,
Et contre Emmanuel arma son éloquence.
Il vit comme un néant les hautes dignités,
Et préféra l’honneur d’oracle de la France
À tout le vain éclat des titres empruntés.

Son animosité contre les jésuites lui valut, de leur part, le reproche d’être huguenot ; mais la vérité est qu’il sut tenir le milieu entre la ligue et le calvinisme, modération qui, si elle avait été plus commune, eût épargné bien des malheurs à la France. On avait une telle vénération pour Antoine Arnauld qu’après sa mort on fut obligé de l’exposer sur un lit pendant quelque temps, pour satisfaire le public qui le demanda avec instance. N-l.


ARNAULD D’ANDILLY (Robert), fils aîné du précédent, né à Paris en 1689, occupa, jeune encore, des charges importantes, et les remplit avec une supériorité de génie et une intégrité peu communes. Il jouit à la cour d’un grand crédit, et n’en usa que pour rendre service. Il avait l’esprit noble, les inclinations généreuses et le courage de les suivre. Ayant rencontré dans une prison des personnes dont la détention était injuste, il brava tout pour faire cesser leur captivité. Innocent au milieu de la cour, incorruptible au milieu des plus grandes occasions de s’enrichir, il mérita que Balzac dit de lui : « Il ne rougit point des vertus chrétiennes, et ne tira point vanité des vertus morales. » À l’âge de cinquante-cinq ans il quitta le monde pour se retirer dans le monastère de Port-Royal-des-Champs. Comme on répétait à la cour que les solitaires de Port-Royal faisaient des sabots par humilité, il dit à la reine mère, en prenant congé d’elle, « que si Sa Majesté entendait dire qu’il faisait des sabots à Port-Royal, elle n’en crut rien ; mais que si on lui rapportait qu’il y cultivait des espaliers, elle le crut, et qu’il espérait en faire manger des fruits à Sa Majesté. » En effet, comme chaque solitaire s’imposait un travail manuel, il choisit pour le sien la culture des arbres. Il envoyait tous les ans à la reine des fruits que le cardinal Mazarin appelait en riant des fruits bénie, et la reine avait recommandé qu’on ne les lui servit jamais sans la prévenir que c’était un présent d’Arnauld d’Andilly. Lorsque le marquis de Pompone, son fils, fut élevé à la place de ministre des affaires étrangères, « Louis XIV voulut voir le bonhomme, dit madame de Sévigné, l’entretint longtemps, le fit promener en calèche dans ses jardins, et lui fit un accueil si aimable, qu’Arnauld enchanté répétait de moment en moment : Il faut s’humilier. » Il avait épousé la fille du sieur Lefèvre de la Boderie, connu par son ambassade en Angleterre ; il en eut trois fils et cinq filles. Il mourut le 27 septembre 1674, a 85 ans, après avoir conservé la vigueur de l’esprit et du corps jusqu’à ses derniers instants. « Ses yeux vifs, dit l’historien de Port-Royal, sa démarche prompte et ferme, sa voix de tonnerre, son corps sain et droit, plein de vigueur ; ses cheveux blancs qui s’accordaient si bien avec