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agiter quelque temps ses dernières années. Ami du monastère de Port-Royal, où il avait été sacré et où il avait sa mère, six sœurs, cinq nièces et plusieurs de ses proches, il eut à essuyer les mêmes traverses pour la même cause, et fut un des quatre évêques qui se signalèrent dans l’affaire du Formulaire. Il le signa enfin, en ménageant, par une clause expresse, les intérêts de Port-Royal ; fit sa paix avec Clément IX, et ne s’occupa plus que du bonheur et de l’édification de son diocèse, conservant dans un âge avancé, comme le témoigne madame de Sévigné, toute la vivacité d’esprit des Arnauld. Il perdit la vue cinq ans avant sa mort, et mourut le 8 mars 1692, à l’âge de 95 ans, après quarante-quatre ans d’épiscopat, pleuré de son peuple, qui le regardait comme un saint, et dont le pieux enthousiasme se disputa les moindres choses qui avaient pu être à son usage. Ses négociations à la cour de Rome et en différentes cours d’Italie ont été publiées à Paris en 5 vol. in-12, 1748, par les soins de son petit-neveu, l’abbé de Pompone ; on y trouve beaucoup de particularités intéressantes. Le manuscrit en était conservé dans la bibliothèque de Lyon, où le P. la Chaise l’envoya. N-l.


ARNAULD (Antoine), frère du précédent, et le vingtième des enfants d’Antoine Arnauld et de Catherine Marion, naquit à Paris, le 6 février 1612. La vivacité de son génie s’annonça de bonne heure. Étant encore enfant, et se trouvant a la campagne, dans le cabinet du cardinal Duperron, il lui demanda une plume. « Qu’en voulez-vous faire ? lui dit le prélat. — Écrire comme vous contre les huguenots. — C’est trés-bien, répondit Duperron ; je suis vieux, et j’ai besoin d’un substitut. Je vous la donne donc, comme le berger Damétas remit, en mourant, son chalumeau au petit Corydon. » Arnauld, après avoir fait avec distinction ses humanités et sa philosophie aux collèges de Calvi et de Lisieux, voulut se livrer à l’étude de la jurisprudence ; mais le vœu de sa mère et les conseils de l’abbé de St-Cyran, son directeur, le décidèrent à préférer la théologie. Il en prit des leçons sous Lescot ; mais ne trouvant point la doctrine de ce professeur de Sorbonne sur la grâce conforme à celle de St. Paul, il étudia particulièrement cette matière dans St. Augustin ; et dans son acte de tentative, soutenu en 1636, et dédié au clergé de France, alors assemblé à Paris, il soutint des sentiments entièrement opposés à ceux qu’on lui avait dictés. Lescot en conçut un ressentiment que ni l’éloquence ni le talent du candidat ne purent adoucir. « Ce confesseur du cardinal de Richelieu, qui n’avait point, dit Bayle, appris à son pénitent à pardonner, et qui avait appris de son pénitent à ne pardonner jamais, retarda, par son crédit, l’admission d’Arnauld dans la maison de Sorbonne. » Enfin la mort du cardinal leva cet obstacle ; Arnauld prit le bonnet de docteur en 1641, et, en prêtant le serment ordinaire, dans l’église de Notre-Dame, sur l’autel des Martyrs, il jura « de défendre la vérité jusqu’à l’effusion de son sang, » promesse que firent depuis tous les docteurs. Deux ans après, il publia son livre de (ou plutôt contre) la fréquente Communion. Ce traité, revêtu de l’approbation de la province ecclésiastique d’Auch, en corps, de plusieurs évêques, et de vingt-quatre docteurs de Sorbonne, fut vivement attaqué par les jésuites, contre lesquels il paraissait dirigé, et qui venaient de laisser publier le livre du P. Séguirand, sur cet objet ; ils le combattirent dans leurs sermons et dans leurs écrits, comme rempli d’une pernicieuse doctrine ; madame de Sévigné parle d’un auteur qui avait entrepris de prouver que cet écrit renfermait trente-deux hérésies. L’adversaire d’Arnauld disait, au commencement de l’ouvrage : « Comme nous le prouverons ci-dessous ; » et, a la fin, il disait : « Comme nous l’avons prouvé ci-dessus, » sans que ni dessus ni dessous il y eût rien de prouvé. Cet ouvrage, qui fait époque dans l’Église de France par la réforme qu’il opéra dans l’administration des sacrements, fut le principe des persécutions que l’auteur essuya dans la suite. Le P. Nouet avant traité Arnauld d’hérésiarque pire que Luther et Calvin, et les approbateurs, d’aveugles, fut obligé d’en demander pardon à genoux, devant l’assemblée du clergé, en présence des supérieurs des jésuites de Paris. Voltaire relève gaiement l’expression emphatique d’un Dictionnaire critique, au sujet de cet ouvrage : Aussitôt que le livre de la fréquente Communion parut, l’enfer en frémit. « Il est difficile, dit l’historien du siècle de Louis XIV, de savoir au juste quelle est l’opinion de l’enfer sur un livre nouveau. » Au reste, ce triomphe d’Arnauld enflamma d’autant plus la haine de ses adversaires. Les disputes sur la grâce, qui s’élevèrent alors, vinrent ajouter encore à cette animosité. Arnauld prit le parti de Jansénius, et le soutint avec la plus grande force. Cependant il n’y avait point encore lieu à une censure juridique, lorsqu’il en fournit une occasion. Le duc de Liancourt, qui faisait élever sa petite-fille à Port-Royal, et qui donnait asile à un abbé de Bourzéis, janséniste, s’étant vu refuser l’absolution par un prêtre de St-Sulpice, parce que, d’ailleurs, il ne croyait pas que les cinq propositions de Jansénius fussent dans le gros livre de cet évêque flamand, Arnauld écrivit deux lettres à cette occasion. Deux propositions contenues dans ces écrits furent censurées par la Sorbonne, en 1656. La première, qu’on appelait de droit, était ainsi conçue : « Les Pères nous montrent un juste dans la personne de St. Pierre, à qui la grâce, sans laquelle on ne peut rien, a manqué, dans une occasion où l’on ne saurait dire qu’il n’ait point péché. » La seconde, qu’on appelait de fait : « L’on peut douter que les cinq propositions condamnées par Innocent X et par Alexandre VII, comme étant de Jansénius, évêque d’Ypres, soient dans le livre de cet auteur. » L’examen en fut confié à des commissaires ennemis de l’auteur ; trente-deux moines mendiants de plus que ne permettaient les statuts de la faculté furent introduits dans l’assemblée, qui se tint sons l’influence du chancelier Séguier. On n’eut aucun égard aux explications offertes par Arnauld. Il fut réduit à sortir de Port-Royal, pour mettre sa