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dessein de faire mourir son neveu ; et il employa les caresses et les présents auprès de ceux qu’il crut devoir lui être le plus dévouée, afin de les engager à commettre ce crime. Ne trouvant personne qui voulut servir sa vengeance, il fit conduire le Jeune prince à Rouen, où on l’enferma dans une tour sur la rivière ; et de nouvelles recherches furent faites pour trouver des assassins, mais inutilement : l’honneur inspirait les uns, la crainte arrêtait les autres. On savait trop bien que Jean était capable d’immoler le bourreau après la victime. Ce monstre, voyant qu’il ne pouvait compter que sur lui-même, se rendit par eau, pendant la nuit, au pied de la tour de Rouen, fit amener le prince dans sa barque, lui passa plusieurs fois son épée au travers du corps, et le jeta ensuite dans le fleuve avec une grosse pierre au cou. On assure que, malgré ces précautions barbares, le corps d’Arthus fut retiré par les filets d’un pécheur, et enterré à l’insu de Jean, dans le prieuré de Notre-Dame-du-Pré. Philippe-Auguste cita le meurtrier à la cour des pairs : qui rendit l’arrêt suivant : « Jean, duc de Normandie, ayant violé son serment envers le roi Philippe, son seigneur ; tué le fils de son frère aîné, vassal de la couronne de France, cousin du roi, et commis ce crime dans l’étendue de la seigneurie de France, est déclaré coupable de félonie et de trahison ; toutes les terres qu’il tient à hommage seront confisquées. » (Voy. Jean-sans-Terre). L’assassinat d’Arthus est de l’an 1202 ; ce prince avait alors 15 ans D. N-l.


ARTHUS ou ARTUR II, duc de Bretagne. Voyez Bretagne.


ARTHUS ou ARTUR III. Voyez Richemont.


ARTIEDA (André Rey de), poëte espagnol, était né vers 1560 à Valence, d’une famille noble, originaire de l’Aragon. À quatorze ans, il prit ses grades dans la faculté des arts, et à vingt, dans celle de droit, de la manière la plus brillante. Sans rompre avec les muses, il embrassa la profession des armes et fut fait capitaine dans un régiment d’infanterie à l’armée de Flandre. Il servit sous les ordres du duo de Parme (voy. Alex. Farnèse) dans les guerres de la ligue ; il fit ensuite une campagne en Hongrie contre les Turcs. Quelques auteurs prétendent qu’Artieda donna des leçons d’astronomie et de mathématiques à Barcelone ; mais il est peu vraisemblable qu’un guerrier, déjà sur le retour de l’âge, ait échangé sa cuirasse contre une robe de professeur. De retour en Espagne, il publia, sous le nom d’Artemidoro, sorte d’anagramme du sien : Discursos, epistolas y epigrammas, Saragosse, 1605, in-4o. L’une des meilleures pièces de ce recueil, devenu fort rare, est une épître au marquis de Cueblar sur la comédie, dans laquelle Artieda signale, avec autant de franchise que de goût, les défauts du théâtre de sa nation. Elle a été reproduite dans le Parnasso español, t. 1er, p. 352. Il comptait au nombre de ses amis les littérateurs les plus distingués de son temps, entre autres Lupercio d’Argensola (voy. ce nom), dont on a un sonnet à sa louange, et Lope de Vega. qui l’a comblé d’éloges dans son Laurel de Apollo. Les critiques modernes n’en parlent pas d’une manière moins favorable. L’éditeur du Parnasso español, qui lui a consacré, dans son 2e volume, une courte notice, dit qu’il joignait à une vaste érudition un esprit solide, et que son style élégant et pur brille par la douceur et l’harmonie. Artieda avait composé dans sa jeunesse une tragédie, los Amantes, imprimée à Valence, 1581, in-8o ; mais on n’en connaît plus aucun exemplaire. W-s.


ARTIGAS (Don Juan), né à Montevideo, en 1746, d’une famille originaire d’Espagne, entra, jeune encore, dans la carrière des armes. Après de longs services il était parvenu au grade de capitaine, et il continuait de servir en 1810 dans l’armée royale avec zèle et exactitude, lorsque, a la suite de quelques démêlés avec le gouverneur de la colonie portugaise del Santo-Sacramento, il alla faire offre de son épée à la république de Buenos-Ayres, qui, vers le commencement de 1811, lui confia des armes et des munitions, au moyen desquelles il se chargea d’exécuter une révolte dans la Banda-Oriental, et d’enlever cette province a la métropole. Il parvint à organiser des guérillas, qu’il grossit encore des troupes revenues du Paraguay, et défit les royalistes en plusieurs rencontres. À Las-Piedras il remporta sur eux une victoire complète, et fit leur général prisonnier. Aussitôt après cet exploit, il marcha contre les Portugais, qui, sous prétexte de défendre la cause du roi d’Espagne, cherchaient à s’emparer du pays qui s’étend à la rive gauche de la Plata. Il les battit dans différentes occasions, et contraignit le gouvernement du Brésil à traiter avec la république de Buenos-Ayres, dont il était devenu le général ; mais il y avait déjà rencontré des rivaux et des ennemis redoutables. Comme il arriva dans toutes les révolutions, dès que l’autorité de la métropole eut cessé, les chefs du parti qui l’avaient renversée se divisèrent entre eux, et les ambitions individuelles se manifestèrent[1]. Venu dans de pareilles circonstances, Artigas ne pouvait manquer de causer de l’ombrage. Ses succès, la confiance des soldats, l’influence qu’il obtint dès le commencement sur une grande partie de la contrée, toutes ces causes réunies excitèrent au plus haut degré les appréhensions du directeur Puyredon, qui aspirait ouvertement à la dictature ; il suscite toutes sortes de tracasseries à Artigas, et l’accusa d’aspirer lui-même à la domination. Le général mécontent s’éloigna avec sa troupe de l’armée qui assiégeait Montevideo sous les ordres de Rondeau, et qu’il était venu renforcer. Par cette défection, il mit l’armée dans la nécessité d’abandonner son entreprise ; et, s’étant répandu dans la campagne, il y fit des levées d’hommes, et chercha par tous les moyens à fortifier son parti. On conçoit de quelle indignation furent transportés, à cette nouvelle, les chefs de la nouvelle république. Posarda, qui venait d’être nommé directeur, et qui n’avait pas plus que Puyredon de penchant pour Artigas, le fit déclarer infâme et traître. Sa tête fut mise à prix, et

  1. C’est un triste plaidoyer pour la république que les guerres civiles, les troubles continuels et l’agitation permanente de l’Amérique espagnole, depuis que ses provinces insurgées, constituées en républiques, sont devenues des théâtres sanglants de discorde et de désolation. C’est un spectale et une leçon pour l’Europe. V-ve.