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Il fut bientôt l’idole de ce parti ; mais, comme cela devait être, il fut en butte à tout le ressentiment du parti contraire, appelé celui de la chiffonne, et dans lequel figuraient la plupart des amis et des parents du maire démocrate. Dénoncé plusieurs fois à la tribune de l’assemblée nationale, il fut défendu par Mirabeau, qui loua ses talents et son patriotisme. Mais, dans la séance du 2 mai 1791, le comte de Clermont-Tonnerre l’accusa hautement de tous les malheurs qui affligeaient cette contrée, et lui imputa surtout les désordres qui avaient troublé le comtat Venaissin. « On a vu le maire d’Arles, dit-il, oublier assez ses devoirs et son caractère pour fournir aux Avignonnais des bombes et des boulets pris dans le parc d’artillerie, et aller ensuite à Avignon se mêler aux factieux, et y recevoir des couronnes. » Cette accusation exagérée[1] aurait pu, dans un autre temps, nuire au maire qui en était l’objet ; mais, à cette époque, elle ne fit qu’ajouter à sa popularité. Il fut élu député à l’assemblée législative par le département des Bouches-du-Rhône. Peu de jours après son départ, les journaux annoncèrent que la populace d’Arles, après avoir traîné son mannequin dans les rues la corde au cou, l’avait réduit en cendres ; enfin qu’elle avait brisé une pierre sur laquelle était écrit le nom d’Antonelle, donné à l’une des places publiques de cette ville. La municipalité et toutes les autorités d’Arles démentirent cette assertion avec beaucoup de force ; et le député des Bouches-du-Rhône ne parut pas même s’en occuper. Il fut nommé à cette époque secrétaire de l’assemblée ; mais il s’y montra rarement à la tribune, et ne répondit pas aux espérances qu’on avait conçues de ses talents oratoires. Le discours le plus important qu’il y prononça fut celui dans lequel il accusa les commissaires civils envoyés à Avignon, qu’il traita de calomniateurs et de scélérats (17 mars 1792). Il fut envoyé le 11 août, avec deux de ses collègues (Kersaint et Péraldy), à l’armée du centre que commandait Lafayette, afin d’y faire arrêter ce général, et d’y annoncer la révolution qui venait de compléter le renversement de la monarchie ; mais ces commissaires furent arrêtés à Mézières par ordre des administrateurs du département eux-mêmes, puis conduits à Sedan, où ils allaient être massacrés par les soldats, si la fuite de Lafayette ne leur eût bientôt rendu la liberté et le pouvoir. Un an plus tard, cette arrestation causa la mort des administrateurs de la municipalité de Sedan et des plus honorables citoyens de cette ville, qui furent condamnés par le tribunal révolutionnaire où siégeait Antonelle, devenu l’un des membres les plus influents du jury. Il n’avait pas été élu député à la convention nationale ; et, pour le dédommager de cette disgrâce, le conseil exécutif l’avait nommé un des commissaires qui durent aller organiser dans les colonies le système républicain ; mais les vents contraires ne lui ayant pas permis de se rendre à St-Domingue, il vint habiter, de nouveau Paris, où, s’étant trouvé en concurrence avec Pache dans l’élection d’un maire, il fit rayer son nom de la liste des candidats. On ne comprend guère comment un homme qui n’était pas naturellement sanguinaire préféra les fonctions de juré du tribunal révolutionnaire à celles de maire. Il était directeur du terrible jury dans l’affaire des Girondins, et il parut hésiter pour leur condamnation. interpellé par Fouquier-Tainville, il eut le courage de déclarer que sa conscience n’était pas suffisamment éclairée ; mais il n’en eut pas assez pour voter une absolution. (Voy. Vergniaux.) Il publia quelques jours après une brochure dans laquelle il réclama plus d’indépendance et de liberté pour les jurés. Arrêté aussitôt après cette publication, par ordre du comité de salut public, il fut emprisonné au Luxembourg, d’où il ne sortit qu’après le 9 thermidor ; ainsi il ne fut pas juré dans le procès de la reine Marie-Antoinette, qui eut lieu au mois d’octobre 1793 (vendémiaire an 2). Ce fut pendant sa détention que, malgré les réclamations de quelques amis, on le raya, comme noble, de la liste des jacobins de Paris. Après la chute de Robespierre, il continua de se montrer un des démagogues les plus exaltés. Le tribunal révolutionnaire existait et jugeait encore ; Antonelle, assis auprès des jurés, suivait tous les débats, et il exerçait même une grande influence à l’époque du procès de Carrier, qui fut condamné, parce qu’il était impossible de l’acquitter, et du comité révolutionnaire de Nantes, coupable de tous les crimes du proconsul, et dont les chefs les plus sanguinaires furent acquittés, ainsi que leurs plus exécrables agents. Antonelle concourut dans le même temps à la rédaction du Journal des hommes libres, l’un des organes les plus zélés du parti révolutionnaire. Poursuivi au 13 vendémiaire an 4 (octobre 1795) par les réactionnaires qui dirigeaient l’opinion publique, il se réfugie, avec tous ses amis, autour de la convention nationale devenue le dernier appui des démocrates ; et ce fut sous les ordres de Bonaparte qu’il combattit les Parisiens dans cette journée célèbre. Il y fit preuve d’un grand sang froid, et on le vit, au milieu des balles et des boulets, lire avec calme un ouvrage philosophique. Le directoire, voulant le gagner, lui confia la rédaction d’une feuille périodique ; mais il y renonça bientôt, pour retourner au Journal des hommes libres. Compromis dans la conspiration de Babeuf, il échappa d’abord aux recherches en se tenant caché ; mais, las de cette pénible existence, il se montra publiquement, et fut aussitôt arrêté par l’agent de police Dossonville. Conduit à Vendome, il y parut avec audace devant la haute cour. Dédaignant de se justifier, il tourna en ridicule l’accusation et les juges, et fut néanmoins acquitté. Il revint alors à Paris, et,

  1. Antonelle vint en effet à Avignon dans l’été de 1791, non pour y fournir des munitions de guerre aux révolutionnaires contre le parti papiste, qui était abattu et fugitif depuis un an, mais pour y opérer un rapprochement entre les chefs du parti dominant qui s’étaient divisés. Les modérés, à la tête desquels étaient la municipalité et le commandant de la garde nationale, père de celui qui signe cette note, ne désiraient que la réunion d’Avignon à la France. Les démagogues. tels que Duprat, Mainvielle, Rovère, etc., voulaient la république ou plutôt l’anarchie, le pillage des églises, des maisons d’emigrés, et l’adhésion forcée de Carpentras. Antonelle fut reçu avec enthousiasme à Avignon : cependant. malgré ses dehors séduisants, son élocution facile et brillante, son esprit aimable et ses talents de société. il échoua dans son rôle de conciliateur ; maiss ce qui est fort rare, il sut se faire aimer et regretter des vieux partis. A-t.