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en Italie, et musulman en Turquie. L’islamisme lui plut apparemment de préférence aux autres religions : à en pratiqua du moins les rites tout le reste de sa vie. On prétend même qu’il recevait une pension de la Porte ottomane ; et comme sa mère avait séjourné quelques années à Constantinople et avait pénétré dans les harems, la malignité ajouta qu’Édouard Montague était fils du Grand Seigneur. Mais sous ce rapport l’honneur de lady Montague est à couvert, car elle eut cet enfant avant son voyage en Turquie. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’Édouard Montague s’était tellement identifié avec la vie des musulmans, que l’imam le plus scrupuleux n’aurait pu l’accuser de négligence. Il se levait avec le soleil, faisait ses ablutions, et se tournait vers l’Orient dans ses prières, qu’il marmottait en arabe. On dit qu’il voulut aussi que sa femme embrassât le mahométisme : il n’enseignait pas d’autre religion à un enfant presque noir qui l’accompagnait dans ses voyages en Orient, et qui passe pour avoir été son fils ; il l’appelait Fortunatus, et ne lui parlait qu’arabe. Il avait lui-même appris à fond cette langue[1] pour plaire à une femme arabe dont il parle avec enthousiasme dans ses lettres. Cependant ce zélé musulman avait conservé de son éducation anglaise un goût assez vif pour l’étude des antiquités. Il adressa à la société royale de Londres le récit de son Voyage du Caire au désert de Sinaï et ses Observations sur la colonne de Pompée auprès d’Alexandrie. Ces deux mémoires ont été insérés dans les volumes 56 et 57 des Transactions philosophiques. Après avoir fait de nouveaux voyages dans l’Orient depuis 1766 jusqu’en 1773, il revint en Italie avec l’intention de se préparer au pèlerinage de la Mecque. À Venise, le duc d’Hamilton, curieux de connaître un compatriote aussi original, s’étant annoncé pour lui rendre visite, Montague le reçut à la manière orientale. Assis les jambes croisées sur un coussin, il fit présenter au duc du café, et brûler devant lui des parfums dans une cassolette ; il se parfuma lui-même la barbe, qui lui descendait jusqu’à la ceinture. Dans cette entrevue il fit le plus grand éloge des Turcs : c’étaient, selon lui, les gens les plus hospitaliers, les plus généreux et les plus sages de la terre. Dans la même ville, l’habile peintre anglais Romney le visita plusieurs fois, et fit son portrait que l’on conserve encore en Angleterre, et qui a été gravé. Ce fut en dînant avec ce peintre que Montague, ayant le gosier embarrassé d’un os de perdrix, tomba malade ; ses domestiques appelèrent à la hâte un prêtre : celui-ci, informé des aventures de Montague, lui demanda dans quelle foi il voulait quitter le monde. J’espère que ce sera dans celle d’un bon musulman, répondit Montague sans hésiter. Il mourut quelques jours après (le 2 mai 1776), et fut enseveli dans le cloître d’un couvent à Padoue, où une table de marbre avec une inscription indiqua longtemps le lieu de sa tombe. Il avait laissé un testament par lequel il ordonnait que son fils Fortunatus, ou Masioud, fût élevé en Angleterre, pourvu qu’il n’apprit ni le latin ni le grec, et qu’il n’habitât point la ville de Londres, ni aucune des deux universités anglaises. Ce testament pourvoyait aussi au sort d’un fils, héritier de son nom dans l’Inde, et d’une fille qui avait pris le voile au couvent des Ursulines à Rome. Ces deux enfants paraissent être issus d’un autre mariage que celui qu’il avait contracté furtivement en Egypte. Une Notice détaillée sur sa vie a été insérée dans l’Histoire du comté de Leicester, et réimprimée dans le &° volume des Anecdotes littéraires du 18e siècle, par J. Nichols, Londres,

1812.D—g.

MONTAGUE : (élisabeth}), dame anglaise aussi distinguée par son érudition que par son esprit, était fille de Matthieu Robinson, riche propriétaire, et d’Elisabeth Drake. Elle naquit à York le 2 octobre 1720, et fut élevée à Cambridge, où résidait sa famille, par les soins du docteur Conyers Middleton (voy. ce nom), second mari de son aïeule. Le docteur Middleton exigeait que sa jeune et belle pupille lui présentât le résumé de toutes les conversations savantes auxquelles elle était souvent présente dans sa société : il l’habitua ainsi à écouter attentivement et à analyser dans son esprit tout ce qu’elle entendait. Elle épousa en 1742 Édouard Montague, petit-fils du premier comte de Sandwich, et membre de plusieurs parlements successifs pour le bourg d’Huntingdon. Il mourut en 1775, laissant à sa veuve une fortune considérable, dont elle fit le plus noble usage pendant le cours de sa longue carrière, qu’elle termina le 25 août 1800, à l’âge de 80 ans. Mistriss Montague se fit remarquer de bonne heure comme auteur, d’abord par ses Dialogues des morts, publiés avec ceux de lord Lyttelton ; et ensuite par un Essai sur le génie et les écrits de Shakspeare, qui parut en 1769, ouvrage classique et élégant, où l’on trouve beaucoup plus de savoir et de critique qu’on n’en devait attendre d’une femme du grand monde. La manière dont les jugements de Voltaire sont relevés dans cet Essai, entrepris surtout pour venger Shakspeare des sarcasmes de l’auteur de la Henriade, attira à mistriss Montague l’animadversion de cet homme illustre, qu’elle avait autrefois connu en Angleterre : il ne lui pardonna jamais, et il ne pouvait prononcer son nom de sang-froid[2]. Mistriss Mon-

  1. Il possédait encore l’hébreu, le chaldéen et le persan, aussi bien que sa langue naturelle.
  2. Voltaire, dans sa Lettre à l’Académie française, lue le 25 août 1776, juge sévèrement le tragique anglais. Il avait fait la même chose dans son Appel à toutes les nations de l’Europe, 1761, in-8o. Mistriss Montague prit la plume pour la défense de son compatriote, et son ouvrage a été traduit en français sous ce titre : Apologie de Shakspeare, en réponse à la critique de M. de Voltaire, 1777, in-8o. Voltaire la réfuta dans une nouvelle Lettre à l’Académie française, imprimée à la tête d’Irène.A. B—t.