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et la Chine, le royaume de Catai, dont on parlait tant en Europe sans en connaître la véritable situation. Le missionnaire fit ensuite quelque séjour à Nankin, ou sa réputation d’homme savant s’accrut considérablement. Les Portugais lui ayant fait passer des présents destinés à l’empereur, il obtint des magistrats la permission de venir a la cour pour les offrir lui-même en qualité d’ambassadeur. Il se mit en chemin au mois de mai accompagné P. D. Pantoja, Espagnol, de deux jésuites chinois et de deux catéchumènes. Malgré quelques traverses qu’il renconta encore dans son voyage, il parvint à être admis dans le palais de l’empereur (voy. Chin-Tsong), qui lui fit faire un bon accueil et vit avec curiosité plusieurs de ses présents, notamment une horloge et une montre à sonnerie, deux objets encore nouveaux à la Chine dans ce temps-là. La faveur impériale une fois déclarée pour lui, le P. Ricci n’eut plus qu’à s’occuper des soins qu’exigeaient les intérêts la mission. Plusieurs conversions éclatantes furent, à ce qu’il parait, le fruit de ces soins ; et les travaux littéraires et scientifiques auxquels le missionnaire se livrait en même temps, contribuaient a lui assurer l’estime des hommes les plus distingués de la capitale. Un travail d’un autre genre fut celui que lui confia le général de sa compagnie, et qui consistait à recueillir les mémoires sur toutes les diverses missions qu’il avait fondées à la Chine. Tant d’occupations différentes, les peines qu’il lui fallait prendre pour entretenir avec un grand nombre de personnes de distinction des relations que les usages de la Chine rendent infiniment assujettissantes, épuisèrent promptement les forces du P. Ricci. Il mourut le 11 mai 1610, laissant pour successeur le P. Adam Schall, presque aussi célèbre que lui par les importants services qu’il a rendus à la religion et aux sciences. Ricci n’avait que 58 ans quand il mourut, et non pas quatre-vingt-huit, comme on l’a dit par erreur. Les principaux lettrés qui se trouvaient à Pékin se firent un devoir de contribuer, au moins par leur présence, a la pompe de ses obsèques. Les chrétiens le portèrent ensuite en procession, et la croix levée, sans craindre d’étaler ce signe à la vue des infidèles, au travers de la capitale et jusqu’à une lieue au delà, dans un ancien temple, retenu abusivement par un favori disgracié, et qui fut accordé par l’empereur pour servir de sépulture à l’humble religieux. Cet édifice fut consacré au vrai Dieu, et l’on y établit pour les missionnaires une habitation, qui est encore aujourd’hui à la Chine (disait le P. Dorléans en 1693) le sanctuaire da la religion. Le P. Ricci avait pris en chinois le nom de Li, représentant la première syllabe de son nom de famille, de la seule manière que les Chinois puissent l’articuler, et le surnom de Ma-teou (Matthieu). Il avait aussi reçu le nom de Si thaï. Il est ainsi désigné darrs les annales de l’empire sous le nom de Li-ma-teou.

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D’après son exemple, les autres missionnaires ont tous pris des noms chinois, formés généralement de la même manière. Les quinze ouvrages qu’il a composés en chinois sont les premiers de ce genre que l’on doive à des Européens ; on ne sera peut-être pas fâché d’avoir ici une liste un peu détaillée des principaux : 1° Thien-tchu chi i, ou la véritable doctrine de Dieu, en deux livres. On le trouve à la bibliothèque de Paris (voy. Catal. Fourmont, No 170 et suiv). Il passe pour être écrit très-élégamment et dans un goût tout à fait conforme au véritable style littéraire (l)[1]. C’est sans doute une chose très-remarquable qu’un étranger soit parvenu, en peu d’années, à connaître les secrets d’une langue aussi difficile que le chinois, de manière à mériter les éloges des lettrés eux-mêmes. À la vérité, il avait, pour cet ouvrage comme pour les suivants. le secours du célèbre Siu, kolao ou ministre d’État, qui avait bien voulu le retoucher. 2° Discussions et controverses en un volume ; 3° Ki ho youan pen, ou les six premiers livres d’Euclide ; 4° Kiao-yeou lun, ou Dialogue sur l’amitié (voy. plus haut} ; 5° Thoungwen souan tchi, ou Arithmétique pratique, en onze livres ;Si tseu ki tsi, ou Système de l’écriture européenne ; 7° Si-koue fa, Art de la mémoire tel qu’il est enseigné dans les royaumes de l’Occident : 8° Thse fa i, Géométrie pratique ; 9° Wan kou iu thou, Carte des dix mille royaumes, ou Mappemonde ; 10° Explication de la sphère céleste et terrestre, en deux livres. Outre plusieurs autres ouvrages de géométrie et de morale (2)[2], on doit encore au P. Ricci les mémoires d’après lesquels le P. Trigault a rédigé, sous le titre De christiane expeditione apud Sinas suscepta. l’histoire de l’établissement et les premières années de la mission de la Chine (Augsbourg 1615, in-4o). C’est dans cet ouvrage qu’on peut prendre une idée juste des travaux du fondateur de cette mission, et il doit être considéré comme une excellente vie du P. Ricci, enrichie d’un grand nombre de morceaux pour l’histoire et la géographie. Le P. Kircher, qui en a extrait de longs fragments pour les insérer dans sa China illustrata, a fait graver un portrait de Ricci, en costume de lettré. Enfin le P. Dorléans a composé, d’après l’Expédition chrétienne, la Vie du P. M. Ricci, Paris, 1693. in-12. Ce n’est qu’un extrait peu étendu du grand ouvrage du P. Trigault. L. P. Jean Aleni a aussi fait imprimer, en chinois, une vie de ce célèbre jésuite. Soixante-six lettres originales du P. Ricci, aussi curieuses qu’intéressantes, ont passé de la bibliothèque du

  1. (1) Le P. Julien Baldinotti, jésuite de Pistoie, le fit réimprimer, en 1730, au Tonkin, pour la seconde fois, et il assure que l’élégance et la pureté du style de ce catéchisme contribuerait puissamment au succès de ses prédications dans ce royaume.
  2. (2) Le traité sur l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme et la liberté de l’homme, qui a été traduit en français par le P. Jacques et inséré au tome 26 de la 2e édition des Lettres édifiantes, fait sans doute partie de la liste précédente.