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jeta à cette époque mène, un nouveau lustre sur le héros saxon : il était, frère naturel d’Auguste III, père de la nouvelle Dauphine. Le retour de Louis XV à Bruxelles fut la signal de la campagne de 1747. En attendant l’arrivée du monarque, le maréchal de Saxe avait employé son aile gauche, sous les ordres du comte de Luwendahl, à occuper la Flandre hollandaise. Quant à lui, son objet principal était de forcer l’ennemi à lui abandonner les approches de Maestricht, dont il méditait la conquête. Une bataille devenait inévitable : elle eut lieu (2 juillet) à Laufeld. Les nombreuses difficultés du terrain la rendirent opiniâtre et meurtrière. Le maréchal se fit voir au milieu du plus grand feu. Il triompha enfin de la résistance du duc de Cumberland ; c’était la troisième grande bataille rangée qu’il gagnait sur ce prince, dans l’espace de deux ans. Peu de jours après ce nouveau triomphe, il écrivit une lettre très-détaillée au roi de Prusse Frédéric II. Le généralissime des armées françaises lui met sous les yeux toutes ses opérations, comme à un grand connaisseur dont il ose espérer l’approbation. Cette lettre est un monument. On y voit que le maréchal donne comme une chose tout à fait neuve les charges en fourrageurs qu’il fit exécuter dans cette dernière bataille par sa cavalerie, pour enfoncer l’infanterie ennemie, ce qui lui réussit complètement (1)[1]. La brillante prise de Berg-op-Zoom acheva de consterner les ennemis de la France ; ils firent des ouvertures de paix. Le maréchal de Saxe jugea que rien n’avancerait plus les négociations que de nouveaux succès ; en conséquence, il forma le projet d’attaquer Maestricht, seule place importante qui restât aux alliés sur la rive gauche de la Meuse. Mais il fallait passer ce fleuve pour opérer l’investissement, et l’entreprise offrait de grandes difficultés. Les instructions du maréchal à Lowendahl et à St-Germain attestent qu’il les avait toutes prévues. Après les plus habiles manœuvres, Maestricht est investi sur les deux rives, dès les premiers jours d’avril. La tranchée est ouverte sur-le-champ, et 120 bouches à feu foudroient la place. Peu de jours suffirent pour la réduire : la garnison, forte de 24 bataillons, en sort avec les honneurs de la guerre. Le lendemain, l’armistice est proclamé dans les deux armées. La paix étant définitivement conclue à Aix-la-Chapelle, le conquérant des Pays-Bas put enfin songer à se délasser de ses fatigues. Le roi lui permit de faire venir à Chambord son régiment de cavalerie légère ; et il lui concéda en toute propriété l’île de Tabago. Le maréchal se disposait à y envoyer des colons, lorsque l’Angleterre et la Hollande s’opposèrent fortement à cet établissement : il y renonça donc. Il mit à profit

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les loisirs de la paix pour se rendre à Berlin, afin d’y connaître personnellement le roi de Prusse. Frédéric lui fit un accueil des plus distingués (1749), et voulut même qu’on lui rendit les honneurs de prince souverain. « J’ai vu, écrivait-il à Voltaire, le héros de la France, le Turenne du siècle de Louis XV. Je me suis instruit par ses discours dans l’art de la guerre. Ce général parait être le professeur de tous les généraux de l’Europe. » Frédéric II lui a encore rendu hommage dans plusieurs passages de ses écrits, principalement dans l’Histoire de mon temps, où il a donné un aperçu des opérations de Maurice de Saxe. Le maréchal revint en France l’année suivante : il y menait la vie la plus conforme à ses goûts. Le roi lui avait fait construire à Chambord des casernes pour son régiment de uhlans. Cette troupe y était assujettie au service comme dans une place de guerre. Six canons et seize drapeaux qu’il avait enlevés aux ennemis de la France ornaient la cour et le vestibule du château. Les jours du héros étaient partagés entre les manœuvres, la chasse, la musique, et une foule d’essais mécaniques qui avaient tous un but d’utilité générale. Il faisait d’assez fréquents voyages à la Grange et aux Pipes, deux maisons de campagne qu’il possédait près de Paris. Sa santé s’était bien rétablie ; tout lui promettait encore un grand nombre d’années, lorsqu’une fièvre putride l’enleva, le 30 novembre 1750, à l’âge de 54 ans. Il mourut avec la fermeté qu’il avait tant de fois montrée dans les combats. Dès que le roi le sut en danger, il lui envoya Sénac, son premier médecin. « Docteur, lui dit le maréchal au moment d’expirer, la vie n’est qu’un songe ; le mien a été beau, mais il est court. » L’opinion s’était accréditée dans l’armée que le maréchal avait été tué en duel par le prince de Conti. On donnait pour motif de la querelle le ressentiment qu’avait conservé le prince du désagrément qu’il éprouva dans la campagne de 1746, où le roi lui avait ôté son commandement pour faire passer son corps d’armée sous les ordres du maréchal. Louis XV se montra vivement touché de la mort d’un guerrier qui avait jeté sur son règne un si grand éclat ; et la reine Marie Leczinska dit avec beaucoup d’à-propos qu’il était bien triste de ne pouvoir chanter un De profundis pour un homme qui avait fait chanter tant de Te Deum. Le culte luthérien, que professa toujours le maréchal de Saxe, empêcha qu’il eut une sépulture à St-Denis à côté de Turenne ; et le même obstacle ne permit pas qu’il fût décoré du cordon du St-Esprit. Louis XV lui fit du moins ériger, dans le temple de St-Thomas (1)[2], à Strasbourg, un magnifique mausolée

  1. (1) Les charges en fourrageurs ont pu obtenir alors quelques succès ; mais Frédéric II n’en a jamais fait usage ; et depuis ce temps nous ne voyons pas qu’aucun autre général les ait adoptées. M-n. j.
  2. (1) Ce temple était devenu pendant les premières guerres de la révolution un magasin de fourrages, et le monument du maréchal de Saxe fut préservé des destructions révolutionnaires par l’honnête garde-magasin, qui sut le dérober à tous les yeux en le tenant toujours couvert de foin.